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B. BOURDON. — LA CERTITUDE

n’est jamais considérable. Pour la plupart des hommes, le type usuel de certitude est celui que nous avons spécialement eu en vue dans les pages précédentes, c’est-à-dire celui qui se compose de deux images ou groupes d’images. C’est pour cela qu’on rencontre dans la vie ordinaire plus de phrases avec un sujet et un seul attribut que des phrases à sujets et attributs multiples, plus de phrases simples que de périodes ; la certitude exige un effort d’attention d’autant plus grand qu’elle est plus complexe ; aussi voit-on fréquemment des gens qui se sont risqués à faire une période, s’arrêter à un moment donné et ne plus savoir où ils en sont. De même encore la plupart des hommes compteront des objets 1 par 1, 2 par 2, rarement déjà 3 par 3, et s’ils s’aventurent à compter par 4, par 5, etc., ils hésiteront vite ou se tromperont[1]. En ce qui concerne les sensations, à mesure qu’elles augmentent en nombre, et à mesure qu’elles se compliquent, la certitude s’affaiblit également. De recherches expérimentales entreprises par Wundt ou ses élèves, il résulterait, par exemple, qu’on peut apercevoir à la fois de 4 à 5 impressions visuelles simultanées, ne présentant pas de lien entre elles ; d’où ce corollaire que, si le nombre s’en accroît, l’aperception cesse d’être nette et sûre. S’il s’agit d’impressions successives, le nombre des impressions qu’on peut embrasser à la fois est plus considérable, et peut atteindre, dans les circonstances les plus favorables, 40, si on s’abandonne à la tendance qu’on a à les rythmer[2]. La complication des impressions rend également l’aperception plus difficile et par conséquent exerce une influence perturbatrice sur la certitude.

Dans ce qui précède nous avons considéré, par abstraction, des cas d’images simples. Mais, chez l’homme adulte tout au moins, il n’existe plus de telles images. Ce qu’il perçoit, ce sont des groupes d’images, qu’il appelle phénomènes, objets. Or il résulte de ce fait des conditions nouvelles pour l’établissement de la certitude.

D’abord interviennent, dans la constitution de l’objet aperçu, toujours un nombre plus ou moins grand d’images de souvenir. Ainsi, quand je regarde une pierre, j’ai dans l’esprit un groupe associé d’images, mais de ces images une partie seulement, les images

  1. La tendance qui existe chez l’homme à ne pouvoir saisir clairement d’un seul coup que deux objets ou phénomènes au plus se manifeste de beaucoup de façons : dans la simplicité des rythmes usuels, dans la difficulté grande déjà de compter des objets 3 par 3, plus grande encore de les compter 4 par 4, 5 par 5, dans les déclinaisons anciennes qui n’ont jamais reconnu de nombre plus compliqué que le duel, dans la division dichotomique des phénomènes en effets et causes, accidents et substances, etc., tandis qu’aucune raison théorique n’empêcherait de les grouper, par exemple, par successions invariables de 3, 4, etc.
  2. Wundt, Physiologische Psychologie, Bd II, S. 246, 330, 3e Aufl.