Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
REVUE GÉNÉRALE.récents travaux sur l’hérédité

domine l’autre et en vient à régler ses mouvements extérieurs, ses volontés, ses croyances intérieures. Le commerce de parents respectés, d’un maître, d’un supérieur quelconque, doit produire des suggestions qui s’étendent ensuite à toute la vie. L’éducation a de ces enchantements, de ces « charmes » dont parle Calliclès dans le Gorgias… » Qu’est-ce là, sinon ce que nous appelons d’ordinaire, avec des mots plus simples, l’autorité, les exemples, les leçons, et cet « ensemble de suggestions systématiques » qu’on nous dit vaut-il plus que pour une heureuse métaphore ?

En tous cas, la comparaison n’explique rien. La suggestion, prise soit au sens propre, soit au sens figuré, semble impuissante à créer rien de durable. Qu’un hypnotiseur donne à croire à un sujet qu’il est général, nous le verrons affecter un air guerrier, signer d’un paraphe violent, en un mot, faire la mimique, la grimace de l’état qu’on lui impose ; mais il n’en prend pas pour cela les qualités. La persuasion d’être géomètre ne produira pas l’esprit géométrique, même à la longue. Si j’ai l’idée d’être musicien, que cette « suggestion » me vienne d’autrui ou de moi-même, mon oreille n’en deviendra pas plus juste, si elle est fausse, je ne passerai pas au type auditif si j’appartiens au type visuel ; tout au plus serai-je porté à cultiver la musique, et je finirai par me convaincre, si j’ai du bon sens, que je ne suis pas doué.

Cela est assez évident dans l’ordre intellectuel, mais ne l’est pas moins dans l’ordre moral, que M. Guyau a considéré de préférence. « On ne naît pas vertueux », objecte-t-il. Je l’accorde ; mais on naît avec un certain fonds de qualités, d’émotions, dont la moralité est précisément, il le dit, la « résultante ». Pas davantage on ne naît instruit, mais plus ou moins capable d’instruction. L’éducation, prise en son plus large sens, ce aboutit à créer une habitude » ; elle ne peut que transformer, organiser ce que l’hérédité a transmis en bloc, et comme en paquet[1]. Il reste d’ailleurs à rechercher comment l’habitude, une fois créée dans l’individu par l’éducation, fixée ensuite dans la race par l’hérédité, devient à son tour un pouvoir modificateur et d’une efficacité réelle.

M. Guyau prend une voie plus directe. Il attribue à la « suggestion éducative » elle-même le pouvoir de modifier le fonds individuel, en vertu de la théorie, empruntée à M. Fouillée, de l’idée-force. L’éducation, écrit-il, doit tendre « à convaincre l’enfant qu’il est capable du bien et incapable du mal, afin de lui donner en fait cette

  1. Cette expression est de M. Charles Mismer, qui consigne dans ses Souvenirs, en cours de publication à la librairie Hachette, des observations pratiques, très intéressantes, sur l’hérédité.