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notre langage qui traduisent de telles images. À chaque instant nous parlons de voir, observer, considérer. Nous demanderons à quelqu’un revenant d’un voyage s’il a vu, non s’il a touché tels objets. Même quand il s’agit d’hommes, nous dirons le plus souvent : « Avez-vous vu X, Y, etc. ? », et non : les avez-vous entendus ?, quoique la parole soit un phénomène pourtant très remarquable. Les savants inconsciemment subissent, comme le vulgaire, l’influence de ce phénomène de la prééminence des images visuelles. On remarquera, si l’on étudie le développement des sciences, qu’une tendance extrêmement nette se manifeste en elles toutes à substituer à toutes les représentations non visuelles des représentations visuelles. Un exemple caractéristique du fait que nous signalons, c’est la tentative qui se poursuit avec un succès croissant de réduire en quelque sorte les phénomènes physiques divers à un même principe, le mouvement. Pour la psychologie, ces théories mécaniques du son, de la chaleur ont au fond peu de valeur, attendu que son, chaleur, mouvement, etc., sont, pour elle, aussi irréductibles entre eux que l’oxygène et l’hydrogène le sont pour un chimiste qui s’abstient de philosopher. Sons, degrés de chaleur, mouvements, bleu, vert, sucré, etc., sont pour la psychologie ce que les corps simples sont pour la chimie. Logiquement les théories en question ne se justifient guère davantage ; car, pourquoi assimiler la chaleur au mouvement plutôt que le mouvement à la chaleur ? Qui pourrait empêcher quelqu’un de prétendre, au nom des principes sur lesquels s’est édifiée la théorie mécanique de la chaleur, que l’on peut considérer tous les phénomènes du monde comme des modes du son ? En effet, de même que les physiciens ne se font pas faute de supposer des mouvements invisibles là où ils n’en perçoivent plus, de même on pourrait parler, comme Pythagore, de la musique imperceptible, soit des sphères, soit de tous autres objets qu’on n’entend pas sonner. Donc les théories mécaniques de la chaleur, du son, etc., n’ont aucune valeur absolue ni psychologique ni logique ; mais elles rendent de très grands services pratiquement et, pour nous, elles sont une preuve admirablement claire de ce que nous avons avancé tout à l’heure, savoir que les représentations visuelles tendent chez tous les hommes à prendre le pas sur les autres.

Il se rencontre des types plus complexes de certitudes que celui que nous avons principalement considéré jusqu’à présent. Ainsi nous pouvons avoir des certitudes comprenant 3, 4, 5 images associées entre elles, de même que nous pouvons composer des phrases comprenant plusieurs sujets et attributs, plusieurs propositions subordonnées les unes aux autres. Mais cette complication de la certitude