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REVUE GÉNÉRALE.récents travaux sur l’hérédité

nérés plus lourdement tarés, chez lesquels l’alcool jouait déjà le rôle d’appoint tout à fait au début de la série des accidents. Aussi les dernières années de leur vie deviennent-elles la reproduction clinique de ce qu’on a coutume d’observer, au point de vue mental, chez les dégénérés complets. Ils peuvent présenter alors, comme ceux-ci, à propos d’excès de boisson, des accès délirants multiples et polymorphes : des bouffées d’idées mélancoliques, d’idées de persécution, du délire ambitieux, etc. Ils se sont créé, en somme, un terrain de dégénérescence acquise ; cette dégénérescence tardive comporte les mêmes caractères cliniques que la dégénérescence mentale primitive. On voit des malades qui, jusqu’alors, n’avaient présenté, comme stigmates névropathiques, que leurs habitudes invétérées d’ivrognerie, devenir des déséquilibrés, susceptibles, comme ces derniers, de souffrir d’impulsions, d’obsessions de commettre des séries d’extravagances, d’originalités, de bizarreries. » Ces cas, ajoute M. Legrain, ne sont pas extrêmement fréquents. D’ordinaire, les excès affaiblissent précocement l’intelligence de celui qui les commet, sans faire de lui un déséquilibré. Mais ses descendants ont grande chance de le devenir, « et c’est dans la génération suivante qu’apparaissent les stigmates parfaits de la dégénérescence. »

Ainsi nous venons de voir l’hérédité en œuvre, soit pour reproduire chez les fils l’ivrognerie des pères, soit pour greffer un nouveau caractère morbide, l’alcoolisme, sur des sujets atteints de vésanie héréditaire, soit pour faire réapparaître dans le délire de ces derniers les mêmes idées délirantes observées chez leurs parents et démasquer leur vésanie, soit enfin pour créer dans l’individu une dégénérescence qui s’aggravera dans la postérité issue de lui. Nous avons donc là des exemples instructifs d’hérédité similaire, d’hérédité par transformation et par accumulation, et tel est l’apport sérieux du livre de M. Legrain au chapitre riche déjà de l’hérédité psychologique morbide.

Le livre de M. Galton nous ramène aux problèmes les plus généraux d’une science de l’hérédité, qui aurait des lois véritables et comporterait la prévision. Ses recherches, écrit-il, se rapportent à la transmission de qualités modérément exceptionnelles, dans les « fraternités[1] » et les « multitudes » plutôt que chez les individus,

  1. Fraternité prend ici le sens de parenté entre les frères et les sœurs, ou parenté fraternelle. Ce mot pourrait très bien avoir dans notre langue le sens que M. Galton lui donne.