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Avec le livre de M. Legrain[1], Alcoolisme et Hérédité, nous passons justement à la pathologie, ou plutôt à la pathologie mentale considérée sous un aspect défini, celui des rapports de la folie avec l’alcoolisme. Quelle tare préexistante produit l’alcoolique, quelle réaction spéciale présente devant l’alcool l’homme plus ou moins touché de vésanie, comment cette tare s’aggrave-t-elle et la vésanie se transmet-elle par l’hérédité, telles sont les questions principales de ce livre. M. Magnan, dans une courte préface, en définit parfaitement le sujet. « À une époque, écrit-il, où les ravages engendrés par l’alcool sollicitent l’attention générale, où les problèmes relatifs à l’hérédité dans les maladies mentales soulèvent les plus vives discussions, il était bon de se demander comment réagissent l’un sur l’autre ces deux éléments, quand ils se trouvent en présence, quel produit clinique est la conséquence de leur combinaison morbide. » L’ouvrage de M. Legrain est donc celui d’un pur clinicien, qui n’a pas à s’enquérir du procédé de la transmission héréditaire, mais qui la constate. Il décrit les phénomènes morbides apparents, il dresse des tableaux, fait une statistique, et il aborde ainsi par le côté extérieur le problème dont l’embryologiste recherche les conditions internes.

M. Galton aborde d’une manière encore plus générale ce difficile problème. Il continue, dans Héritage naturel, l’emploi de la méthode statistique par lui inaugurée il y a vingt ans, et qui est devenue entre ses mains un véritable instrument de découverte. Nous exposerons plus loin comment il la conduit dans ce nouveau travail et l’applique à des données spéciales, susceptibles d’être plus exactement déterminées, comme la taille, la couleur des yeux, et nous dégagerons le sens vrai de la loi que ses calculs ont mise en évidence, la loi du retour à la médiocrité. Il est clair, du reste, que la méthode de M. Galton, parce qu’il opère sur des grands nombres, ne saurait jamais, M. Ribot l’a déjà fait remarquer, déceler la nature intime des faits de l’hérédité, si compliqués et si délicats : il y faudrait une analyse patiente, dont j’espère pouvoir donner prochainement au moins un grossier modèle. Pour la même raison, une loi obtenue par le calcul offrira une certitude suffisante, tandis que les prévisions qu’on en tirerait pour un cas particulier demeurent forcément trop incertaines. Il est clair aussi que la loi de Galton, pour valoir absolument dans un système fermé, c’est-à-dire dans la limite des quatre ou cinq générations qui ont fourni les chiffres, laisse ouverte

  1. Il a été rendu compte dans la Revue (déc. 1886) d’un précédent ouvrage de M. Legrain : Du délire chez les dégénérés. Doin, 1886.