responsabilité morale du criminel que le sentiment qu’il a de sa propre culpabilité ?
L’acceptation du châtiment par le criminel me paraît encore une preuve du sentiment intime de sa responsabilité morale. Dans son beau livre sur les problèmes de morale sociale, M. Caro fait remarquer avec raison que les cas de révolte contre la peine sont très rares chez les malfaiteurs et que ce fait constitue une preuve très solide en faveur du libre arbitre. M. Lombroso a contesté avec une grande vivacité l’observation fort judicieuse de M. Caro : « Un philosophe, dit-il, dont le mérite n’est certainement pas à la hauteur de sa renommée, M. Caro, dit quelque part : « Voyez les criminels eux-mêmes admettre le châtiment ; ils nient le crime, jamais la peine « qui les frappe. » Pensée encore plus ridicule peut-être qu’absurde ! Je défie bien qui que ce soit de nier un fait dont, à tout moment, il doit souffrir la preuve douloureuse. » (L’homme criminel, p. 398.) L’observation de M. Caro n’est cependant ni ridicule ni absurde ; M. Lombroso ne me paraît pas l’avoir saisie, pas plus qu’il n’a compris le grand talent du philosophe français, dont le mérite dépassait la renommée. L’observation de M. Caro avait déjà été faite par Socrate : « Ils ne mettent pas en question si celui qui est coupable d’une injustice doit être puni ; toute la question est de savoir qui a commis l’injustice, quand et comment il l’a commise… car ils n’osent soutenir que, leur injustice étant constante, ils ne doivent pourtant pas être châtiés[1]. » Cette observation de Socrate et de M. Caro sur la résignation avec laquelle des criminels acceptent une condamnation, qu’ils savent être méritée, est de la plus scrupuleuse exactitude. Que de fois j’ai entendu des accusés s’écrier : « J’ai fait la faute, je ferai la pénitence, je l’ai méritée ! — Je suis un misérable, je mérite qu’on me fusille ! Je sais que je mérite une punition, mais je vous prie de n’être pas trop sévères. » Aujourd’hui encore (21 mai 1889), j’ai entendu un accusé déclaré coupable de meurtre dire à la cour d’assises : « J’ai mal fait, je mérite une peine, mais je réclame l’indulgence de la cour. » Lors du jugement de Mimault, employé du télégraphe, convaincu d’avoir assassiné son directeur, à la question du président d’assises : « Accusé, avez-vous encore quelque chose à dire pour votre défense ? » l’accusé répondit : « Ce que j’ai à dire c’est que j’ai tué un homme et, comme je suis convaincu que l’expiation est une réhabilitation, je demande vingt ans de travaux forcés. » Lorsque la condamnation fut prononcée, l’accusé ajouta : « C’est toujours la peine de mort pour moi ; je l’ai infligée, je la
- ↑ Platon, Eutyphron.