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pas autre chose que la substitution d’une perception à un groupe d’images faibles et faiblement associées. D’autre part, chaque fois que vient à manquer l’une des conditions précédentes, la certitude s’affaiblit. Quand une image de souvenir devient trop faible, on en arrive à se demander si réellement on a vu ce à quoi cette image correspond : ainsi nous nous demanderons si et où nous avons rencontré déjà telle personne qu’on nous montre et qui réveille dans notre mémoire une image faible. De même si une idée flotte dans notre cerveau sans se rattacher à aucune autre, nous avons la conviction que nous imaginons cette idée et, à mesure que le lien s’affaiblit entre une idée et une autre à laquelle elle est rapportée, la vérité se change en doute, le souvenir précis en simple réminiscence.

Jusqu’à présent nous n’avons considéré que la certitude positive. Il convient de dire aussi quelques mots de la certitude négative. Non seulement en effet nous pouvons dire : A est B, nous pouvons encore faire des phrases comme la suivante : A n’est pas B. La seule différence essentielle entre les certitudes positive et négative porte sur le lien qui unit entre elles les idées A et B. Tandis que dans la certitude positive A et B sont énergiquement associés l’un à l’autre, dans la certitude négative ils sont au contraire dissociés, et, plus ils sont dissociés avec force, plus la certitude s’impose que A n’est pas B. Au reste, la certitude négative n’est rien de primitif. En effet, la perception en un même instant de deux phénomènes si différents qu’ils soient n’est pas l’équivalent d’une certitude négative, de la certituije que l’un de ces phénomènes n’est pas l’autre ; elle tend bien plutôt à donner lieu à une certitude positive, par exemple à celle-ci que l’un de ces phénomènes suit l’autre. En d’autres termes, dans toute perception, deux phénomènes simultanément donnés s’associent toujours à quelque degré. Quant aux images qui apparaissent à l’esprit pendant la réflexion, la règle générale est que seules celles qui se ressemblent tendent à s’évoquer directement ; celles qui diffèrent beaucoup les unes des autres ne s’entre-éveillent que si une longue répétition, par exemple, les a peu à peu fortement associées. L’impossibilité ou la difficulté considérable d’associer deux idées qui caractérise la certitude négative tient à ce que quelque autre association préexiste qui annihile celle qu’on voudrait établir. Ainsi l’association entre homme et bimane empêcherait de former celle entre homme et quadrumane[1].

  1. Une théorie de la négation, tout à fait analogue à celle qui précède, se trouve développée, au point de vue linguistique, par M. John Earle, dans The Philology of the English tongue, 3e édition, p. 476.