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L. PROAL.responsabilité morale des criminels

À la session de mai 1889 de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, nous avions à juger le nommé Deutsch, ancien sous-lieutenant, employé dans une maison de banque. Voici dans quels termes il appréciait lui-même sa responsabilité dans le mémoire qu’il présenta à la cour : « Dieu ne voulut pas permettre qu’il en fût ainsi, et mes actes criminels furent révélés et dénoncés à la justice, pour qu’elle les punît, conformément à la loi… Rien de plus juste et de plus équitable… J’adresse à tous ceux aujourd’hui qui, de près ou de loin, sont atteints par mes actes, une prière qui part du plus profond de mon cœur, les suppliant de ne voir en moi qu’un misérable, mais repentant, qui se jette à leurs pieds implorant leur pardon. » Dans une lettre adressée par le même accusé à son patron, à qui il avait volé 7000 francs, je relève le passage suivant : « Je n’essayerai même pas de donner une excuse à mon crime ; il ne peut y en avoir. Avant de comparaître devant la cour d’assises, c’est-à-dire au moment de recevoir le juste châtiment qui m’est dû, je ne peux résister au désir de vous faire connaître quelles ont toujours été mes intentions à votre égard. » Lorsque le criminel n’est pas un récidiviste endurci, on le voit très sensible à la réprobation qu’il a justement encourue, implorant son pardon dans les lettres qu’il écrit à ses parents et à ses amis. Si on venait lui dire que le crime qu’il a commis est le résultat de la fatalité, que par suite il a tort de se croire responsable, qu’il ne mérite pas le mépris de ses parents ou du public, on le verrait regarder son interlocuteur avec un profond étonnement ; car, lui, il se sait coupable, il a un sentiment profond de sa responsabilité ; il comprend qu’il a justement perdu l’estime de tous, il se sent méprisable. Cette pensée est un tourment pour lui. On la trouve fortement exprimée dans les lettres de Toledano, négociant tunisien qui, il y a quelques années, étrangla et assomma son ami pour lui voler 50,000 francs, fut condamné à mort et exécuté : « Mes chers et adorés père et mère, c’est les larmes aux, yeux, à genoux, les mains jointes et le cœur brisé que je vous demande pardon de la profonde douleur que va vous causer ma résolution (il avait essayé de se suicider)… Adieu, mon père ! adieu, ma mère ! adieu, mon frère ! adieu, ma sœur ! adieu, vous tous enfin que j’ai aimés sur la terre, adieu et priez pour moi. Accordez-moi aussi votre pardon, car j’ai besoin d’absolution, avant d’entreprendre mon dernier voyage. » Dans une autre lettre, adressée à son oncle et à sa tante, je relève encore le passage suivant : « Mes pauvres parents, si vous saviez combien je suis malheureux, vous me plaindriez, si méprisable que je sois. » Il les supplie d’aller le voir, ne fût-ce que pour l’accabler de reproches : « Ah ! ma tante, je t’en