ajoute : « Pourquoi alors le législateur défend-il de commettre de mauvaises actions ? pourquoi impose-t-il des peines à celui qui les commet ?… Le législateur serait bien absurde de nous ordonner dans ses lois des choses qui ne dépendraient pas de nous. » (La Grande morale, l. 1, ch. x, § 4.)
En faisant ainsi, chez tous les peuples, reposer la pénalité et les lois civiles sur le libre arbitre, le législateur ne s’est point inspiré de théories métaphysiques ; il a accepté, sans le moindre doute, la croyance au libre arbitre, parce que cette croyance est naturelle à l’humanité. Ainsi que l’a fait observer M. Caro, il y a un spiritualisme naturel, antérieur et supérieur à tous les systèmes. L’humanité trouve sans étude au fond de son cœur, un certain nombre de croyances et notamment cette croyance au libre arbitre, nécessaire à la vie morale de l’individu et à la vie sociale.
Cette croyance au libre arbitre est si naturelle à l’homme que les criminels eux-mêmes ne doutent pas de leur responsabilité morale. Depuis vingt ans, soit comme juge d’instruction, soit comme procureur de la République, soit comme conseiller, j’ai eu à interroger bien des criminels de tout âge, de tous les rangs, de toutes les conditions, je n’en ai jamais entendu un seul douter de son libre arbitre. Jamais aucun d’eux, convaincu du fait qui lui était reproché et qui allait entraîner contre lui une condamnation lui faisant perdre l’honneur, la liberté ou même la vie, n’a essayé d’en décliner la responsabilité en disant que son crime avait été déterminé par son organisation ou par le milieu dans lequel il avait vécu. Pendant que de profonds philosophes et des savants distingués considèrent l’assassinat, l’empoisonnement, le parricide, le vol, l’attentat à la pudeur comme des actes nécessaires, imposés aux criminels par les défectuosités de leur organisation physique et psychique, les assassins, les empoisonneurs, les voleurs ne songent pas à présenter cette ingénieuse défense : ils se sentent responsables. Ils ont le plus grand intérêt à se dire les victimes de la fatalité ; le désir de se soustraire au châtiment leur inspire les moyens de défense les plus bizarres. Cependant, il n’est jamais arrivé à un criminel de dire à ses juges : « Mes instincts égoïstes sont plus forts en moi que mes instincts altruistes ; je n’ai pas pu diriger mes actions comme j’aurais voulu ; mon crime ne dépend pas de moi, je n’en suis pas responsable ; je suis la résultante de mes aïeux, de ma nourrice, du lieu, du moment, de l’air et du temps, du son, de la lumière, de mon régime et de mes vêtements. » (Moleschott.) La faute n’est pas à moi, la faute en est à mes parents, qui m’ont transmis un sang vicieux et des règles