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B. BOURDON. — LA CERTITUDE

hors de cause. Parfois un rien, une cause indéterminable nous décident à faire jouer à tel phénomène plutôt qu’à tel autre le rôle de substance ; c’est ainsi que, deux livres qui nous sont également familiers étant accolés, nous pourrons n’avoir pas de raison sérieuse pour dire plutôt : « Le livre A est à côté du livre B », que : « Le livre B est à côté du livre A ». Peut-être alors prendrons-nous comme substance celui de ces livres que par exemple notre œil apercevra le premier ; peut-être prendrons-nous l’autre pour des raisons qui nous échapperont entièrement.

Les substances auxquelles un homme rapporte ainsi des accidents sont souvent les objets particuliers du monde physique et lui-même. Ainsi il dira : « Cette poire est bonne, ce champ a deux hectares, je suis content. » Pourtant la conception de substances plus compréhensives que sa propre personne et que la poire, le champ, etc., ne lui fait pas défaut ; au moins elle ne fait pas défaut à l’homme de nos pays civilisés. C’est ainsi qu’il rapportera certains phénomènes à son village considéré comme substance, à quelque grande ville, à son pays. Il va même quelquefois, quoique, il est vrai, rarement, jusqu’à prendre pour substance le monde extérieur tout entier ; c’est ce qui a lieu quand il dit, par exemple : « Il existe des revenants, il existe des hommes qui ont six pieds de haut. » Alors, visiblement, c’est à l’ensemble de ces phénomènes extérieurs qu’on appelle le monde qu’il rapporte les revenants et les hommes de six pieds de haut.

Mais il ne suffit pas encore, pour que la certitude et la vérité se constituent intellectuellement, qu’un accident soit rapporté à une substance, il faut encore qu’il lui soit rapporté avec une énergie considérable. C’est ce qui a lieu au plus haut degré dans la perception. Nous voyons avec une force irrésistible, nécessairement, tel livre sur telle table, nous percevons, nécessairement aussi, que telle maison fait partie de tel village, que ce village fait partie du monde extérieur.

Nous pouvons résumer tout ce qui précède en disant que nous avons établi l’existence de trois conditions intellectuelles fondamentales de la plus simple des certitudes ; elle implique : 1° la présence d’images intenses ; 2° le rattachement de l’une de ces images considérée comme accident à une autre image prise comme substance et qui apparaît plus vite et avec plus d’intensité encore qu’elle ; 3° une association intense, la sensation d’un lien énergique entre les deux images considérées. Ces conditions se trouvent le mieux réalisées dans la perception. C’est ce qui explique pourquoi les savants attachent tant d’importance à la vérification, qui n’est