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J. -J. GOURD.un vieil argument

tout sur ce point que les partisans d’une métaphysique intellectuelle croient trouver la science phénoménale en défaut. Ainsi, d’après M. Fouillée, « tout cerveau humain se demande nécessairement si cette nature visible se suffit ou ne se suffit pas à elle-même, et s’il y a un principe dernier d’où tout dérive » ; d’après le même auteur, c’est un besoin de savoir « si l’agitation universelle a un sens ; si l’univers même est bon, mauvais, ou indifférent à ces apparences transitoires que nous nommons bien et mal, simples tressaillements de vagues intérieures qui n’empêchent pas l’éternelle impassibilité de l’Océan. » — Eh non, sans doute, on ne peut éviter de s’en enquérir ; mais la science phénoménale répond à ces questions, autant qu’il est possible d’y répondre. La science explique causalement et finalement l’ensemble des choses, l’univers, en tant qu’elle explique causalement et finalement chaque chose. Il n’y a point là un problème nouveau, pas plus qu’au sujet de la rencontre des causes, du moins il n’y a pas un problème positif et persistant. La philosophie ne le pose que pour le faire disparaître. Qu’est-ce, en effet, que l’ensemble, sinon la série, la série illimitée, infinie (nous ne disons pas « le tout » comme M. Fouillée, car l’idée de tout est inconciliable avec celle d’infini que l’on ne peut, d’autre part, repousser) ? Et la série existe-t-elle autrement que par ses termes ? Elle n’est que parce que ceux-ci sont : si donc elle a une origine, cette origine doit être celle de ses termes ; et, en sens inverse, si elle a une fin, cette fin doit être encore la leur. Ainsi, quand on a rendu compte de chaque fait, on a rendu compte par cela même de la série, de l’ensemble, il n’y a plus rien à chercher.

C’est justement là que nous vous attendons, dira-t-on. Si vous ne voulez pas sortir de la considération de l’individuel, vous laisserez toujours quelque chose d’inexpliqué ; vous l’avez dit vous-même, la série est infinie, ainsi que la régression de cause en cause à laquelle vous vous condamnez ; par conséquent, aussi loin que vous avanciez vos recherches, il vous restera nécessairement un premier terme sans cause. Or, du moment que la cause du premier terme fait toujours défaut, le point de départ de la série fait également toujours défaut ; à l’origine de tous les faits, vous mettez quelque chose de fuyant, d’éternellement insaisissable ; votre monde phénoménal demeure ainsi en quelque sorte suspendu dans le vide, et la pensée ne saurait s’en contenter. — Si le raisonnement était juste, répondrons-nous d’abord, il faudrait conclure à l’insuffisance de la métaphysique aussi bien qu’à celle de la science. Que pourrait, en effet, la métaphysique, pour expliquer le premier terme que l’on dit sans cause ? Arrêterait-elle la régression causale ? Mais de quel