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J. -J. GOURD.un vieil argument

rience ne comporte rien que d’actuel ; que l’avenir et le passé doivent, pour y trouver place, être actuels eux-mêmes ; et que l’hypothèse d’une vie future enveloppe précisément l’idée d’un avenir non actuel, d’un avenir posé indépendamment de la conscience actuelle et existant après elle. — Enfin nous sortons de l’expérience, quand nous nous efforçons « de remonter à une réalité initiale d’où procèdent toutes choses ». M. Fouillée déclare bien qu’il ne s’agit pas de trouver une substance ou une cause de l’expérience complète, ce qui lui paraît pourtant, ailleurs constituer « les dernières questions de la métaphysique », mais seulement d’exprimer le monde actuel ou réel en ses termes ultimes. Soit ; mais, si nous comprenons bien, ces termes ultimes ne cesseraient pas d’être des réalités existant par elles-mêmes et achevées en elles-mêmes ; ce « principe suprême » qui, est-il dit, se communique à moi et aux autres êtres, ce « divin », dont « l’humanisation » fait question pour la métaphysique, serait encore un « concret » commun à tous les êtres. Or l’expérience donne-t-elle des concrets de ce genre ? Dans l’expérience, concret et individuel ne sont-ils pas synonymes ? Pour qui reste dans l’expérience, l’extension d’un terme à une série d’autres termes peut-elle se faire autrement que par généralisation et dans l’abstrait ? Si le terme ultime était concret, il existerait seul en vertu, de son universalité même ; ainsi s’évanouirait la multiplicité des individus et avec elle l’expérience tout entière. — Non, cette métaphysique n’est pas strictement expérimentale, et nous pouvons dire que toute métaphysique a pour objet l’ultra-phénomène, ce qui dépasse l’expérience. Or comme, d’autre part, on n’a pas besoin de sortir de l’expérience pour achever l’œuvre des sciences particulières ; comme il y a place, au sein même du phénomène, pour une science générale, il est bien permis de conclure que le rôle de la métaphysique n’est pas encore justifié.

Mais peut-être la science reste-t-elle impuissante à atteindre le fond des choses, en ce que ses objets, les phénomènes, ne sont pas les choses elles-mêmes, mais seulement leurs symboles. « La vérité de la science, dit M. Fouillée, est d’une nature toute relative, puisqu’elle est simplement représentative d’objets qui demeurent inconnus. La science est une série de signes ordonnés d’une manière Symétrique avec la mystérieuse série des choses : c’est une algèbre. » À notre avis, cette distinction entre la chose et le signe, entre l’être et le paraître, tout ancienne qu’elle soit, est aussi vaine que celle de la méthode intérieure et de la méthode extérieure. Supposons-la juste, il n’en résulterait point encore que la métaphysique dût compléter les lumières de la science : l’être ne pouvant être connu que