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J. -J. GOURD.un vieil argument

I

Pour donner satisfaction à la pensée, il faut d’abord expliquer les choses en elles-mêmes. — Mais remarquons, avant d’aller plus loin, qu’il serait contradictoire de prétendre tout expliquer à cet égard, même l’élément de différence que chaque chose contient nécessairement. Expliquer la nature des choses, c’est coordonner, comparer ces choses, c’est les faire entrer dans des cadres, c’est les rapporter à des classes, à des lois : or le pur différent ne saurait se prêter à de telles opérations. Les choses ne deviennent objets de connaissance, du moins d’une connaissance précise, que par leurs éléments de ressemblance. Tout ce que la science peut tenter, et la métaphysique n’en ferait certainement pas davantage, c’est de substituer à l’élément propre des choses un correspondant formé par une combinaison d’abstraits généraux, c’est-à-dire d’abstraits fondés sur les éléments de ressemblance. En se combinant, les abstraits généraux se limitent réciproquement : il en résulte une sorte de particularisation qui représente dans une certaine mesure les choses individuelles, et qui a l’avantage de soumettre partiellement à la science un de leurs éléments qui lui échappait. Mais ce n’est qu’une substitution partielle ; il reste toujours dans les choses une particularité finalement inconvertible aux types et aux lois, et qui demeure en dehors de toute explication. — Il serait également contradictoire de prétendre expliquer directement, sans une substitution analogue à la précédente, la nature de l’élément psychique, et surtout de l’élément affectif, des phénomènes. Il en serait ainsi, du moins, pour ceux qui, avec nous, regardent l’élément affectif comme celui qui précède les rapports et par conséquent leur échappe. Demander qu’on considère en eux-mêmes nos plaisirs et nos peines, qu’on les compare directement, et qu’on les réduise ainsi à des unités abstraites, ce serait demander de mettre en rapport justement ce qui par définition ne saurait y être. La pensée ne le réclame donc pas, et la science peut négliger cette difficulté, aussi bien que la précédente, sans qu’on ait le droit de lui objecter qu’elle ne donne pas pleine satisfaction à l’intelligence. Tournons-nous vers les véritables problèmes.

La science n’irait-elle pas jusqu’au fond des choses, jusque dans leur nature intime, jusque dans leur « être » ? — C’est l’avis de M. Fouillée. « Que nous montrent vos sciences objectives ? dit-il. Elles nous apprennent dans quel ordre constant s’accompagnent ou se suivent tels et tels phénomènes donnés, quelles que soient en