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G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

mique et de la définir. La nôtre nous semble plus conséquente. En fondant la science sur la valeur, qui dépend de la rareté, et au fond du désir, M. Gide admet implicitement que l’objet de l’économique en général n’est pas matériel. Cet objet n’est pas plus la richesse des nations que celles des particuliers ou du genre humain pris dans son ensemble ; ce n’est pas même, à proprement parler, la richesse en général, l’ensemble des objets dont se compose la richesse, son objet véritable est l’activité de l’homme relative à la richesse, ou plus précisément l’activité de l’homme social tendant à la satisfaction de ses besoins. Savoir comment cette activité s’est exercée et s’exerce actuellement, c’est l’érudition ; l’isoler et l’affranchir pour en suivre la logique, c’est la théorie, qui seule peut devenir exacte (à prendre ce mot dans le dictionnaire de la science) ; tracer les lignes qui, d’un lieu donné, la conduiront à la satisfaction maximale est l’œuvre de l’art. L’économique ne s’étend pas plus loin, mais les besoins, ou plutôt les désirs, puisque de notre point de vue exclusif les deux mots se recouvrent, ne sont pas tous légitimes, ils ne concourent pas tous au but suprême de la vie, et ceux qui y concourent ne le font pas tous également. Ordonner les désirs, distinguer les désirs permis des illégitimes est une tâche de la morale. Puis l’entière satisfaction des besoins de l’un n’est pas compatible avec la satisfaction des besoins de l’autre. Quoi qu’en dise un optimisme de parti pris, il ne règne pas dans le monde économique une si parfaite harmonie qu’en allant jusqu’au bout de notre intérêt économiquement bien entendu, nous ne puissions heurter celui d’un autre ou de tous les autres. C’est pourquoi les hommes ont senti partout la nécessité d’instituer un arbitre investi d’une force matérielle suffisante pour contraindre au besoin les intérêts à se respecter mutuellement. Cette limite se nomme la Loi, le pouvoir qui l’impose est l’État, et c’est dans le miheu soumis à la loi que l’économique étudie l’activité réelle et l’activité normale des particuliers obéissant à leur intérêt personnel, puis l’activité que l’État déploie et doit déployer dans son gouvernement et dans sa politique extérieure pour favoriser l’intérêt commun des administrés. Mais changeant avec les temps et les lieux, les lois des États se rapprochent inégalement du droit naturel, c’est-à-dire du droit désirable[1], dont le principe est la justice, c’est-à-dire l’égalité des compétences et la réciprocité des obligations. Qu’il s’agisse d’ordonnances à promulguer ou de la conduite à tenir dans les limites des lois en force, il y a donc lieu, relativement à tout acte économique, d’examiner s’il

  1. Heureuse définition que nous donne un livre récent, la Règle du droit, par Ernest Roguin (Paris, chez Pichon), p. 106.