par l’oreille comme son d’une plaque vibrante, partiellement par le toucher comme série de chocs dans la plaque, partiellement par la vue comme mouvement oscillatoire. Supposez que, par une merveille d’organisation, fût lié naturellement à nos yeux un appareil microscopique d’une puissance extraordinaire, grâce auquel nous verrions et lirions dans notre cerveau, devenu de part en part diaphane jusqu’en ses dernières molécules. En même temps que nous aurions la sensation du son, nous verrions les vibrations nerveuses, les valses d’atomes cérébraux répondant aux valses d’atomes aériens, et tout son, en même temps qu’entendu, serait vu par nous dans notre cerveau comme mouvement ondulatoire. Maintenant, ajoutez à cette organisation extraordinaire un appareil acoustique non moins perfectionné que l’appareil optique, et qui ferait de notre oreille un microphone d’une puissance prodigieuse, capable d’entendre les sons formés dans le cerveau par tous les chocs mutuels des molécules. Nous entendrions alors continuellement ces molécules vibrer ; la vibration cérébrale produite par la vision d’un objet, vibration vue elle-même dans notre cerveau par notre microscope cérébral, serait en même temps une vibration entendue par notre microphone cérébral. L’un nous semblerait même inséparable de l’autre, si jamais nous n’avions d’interception et d’interruption ni dans la vision interne des vibrations cérébrales, ni dans l’audition de sons ou accords cérébraux. Entendant toujours, voyant toujours, et toujours à la fois, enfin projetant au dehors toutes ces sensations, nous aurions la représentation des mêmes choses comme sons lumineux ou rayons sonores. Enfin, si nous avions un troisième appareil qui nous permît de toucher notre cerveau et de rendre ses vibrations sensibles au tact, tout y deviendrait à la fois visible, sonore et tangible. Par exemple, au moment où nous éprouvons un sentiment de frayeur, si nous pouvions voir, entendre et toucher dans notre cerveau les molécules vibrantes, et si nous avions encore d’autres moyens de perception assez complexes, assez puissants, assez concordants, nous saisirions le processus réel en son entier : la même réalité une et variée se verrait évoluer à la fois pour la conscience et pour les divers sens. Actuellement, le sujet conscient ne peut appréhender le même fait des diverses manières à la fois ; la sensibilité tactile étant répandue sur tout le corps, tout mouvement de translation affecte bien notre sensibilité tactile, mais n’affecte pas nécessairement nos autres sens, parce que ces derniers sont localisés et intermittents. Il n’en serait pas de même s’il y avait concomitance perpétuelle de tous nos sens et si chaque objet provoquait toutes les sensations à la fois.
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