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exemple elle ne devait serrer qu’avec la main droite : « j’allais serrer avec la main gauche ». Nous avons retrouvé ce fait chez des adultes pendant des états de distraction[1].

Pour terminer sur ce point, je noterai en passant l’attitude des mains des jeunes enfants âgés de moins d’un an ; lorsqu’on les porte, ou qu’on les tient debout, et qu’ils n’exécutent avec les bras aucun mouvement, leur main immobile reste dans la pronation, c’est-à-dire la paume tournée en dedans ; j’ignore quelles sont les conditions physiologiques de cette attitude, qui est en quelque sorte caractéristique chez le jeune enfant.

À l’étude du mouvement se rattache celle du sens musculaire. Charles Bell, qui est un des premiers, sinon le premier, qui ait étudié le sens musculaire, en donne comme exemple ce fait qu’un jeune enfant qu’on tient dans les bras perçoit très exactement s’il est tenu solidement ou s’il court le danger de tomber. J’ai eu la preuve que cette perception se produisait très nettement déjà chez une petite fille pendant la troisième semaine. On lui donnait un bain tous les jours ; on la portait toute nue dans le bain, en plaçant une main sous son dos et l’autre sous ses jambes ; la personne qui la tenait la serrait en outre un peu sur la poitrine pour plus de sûreté. Quand l’enfant était dans cette position, elle demeurait tranquille et se laissait porter au bain sans rien dire. Il en était autrement si, au lieu de la serrer légèrement, on la portait simplement sur les deux bras étendus, ce qui, en effet, était un peu plus dangereux, car l’enfant n’étant pas retenue aurait pu glisser. Dès que ce petit être, à peine âgé de trois semaines, sentait qu’on ne le serrait plus, il commençait à se débattre et à pousser des cris de frayeur. Comme on aurait pu se méprendre sur l’origine de ces cris et les interpréter différemment, je fis tenir l’enfant devant moi un grand nombre de fois, et toujours le résultat fut le même ; sitôt qu’on cessait de serrer l’enfant, sa petite figure prenait une expression de frayeur des plus nettes et elle poussait des cris aigus. Cette frayeur était d’autant plus curieuse que l’enfant était à peine âgée de trois semaines, qu’on ne l’avait jamais laissée tomber (je puis certifier le fait) et qu’elle n’avait par conséquent aucune expérience acquise sur le danger d’une chute. Il me semble difficile d’interpréter le cas autrement que comme un résultat d’une disposition héréditaire. Je n’ai pas eu l’occasion de faire de comparaison à cet égard avec d’autres enfants.

Il est curieux de voir que, tandis qu’un enfant de trois semaines perçoit par un processus héréditaire qu’il est sur le point de tomber,

  1. Concurrence des états intellectuels. (Rev. phil., février 1890.)