Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
revue philosophique

tentatives de marche. L’aînée des deux petites filles parvint à marcher seule à douze mois, tandis que la seconde n’y réussit qu’à quinze mois ; cependant l’aînée était beaucoup plus délicate, et de plus, elle n’eut pas, comme la seconde, l’avantage d’être élevée avec une autre enfant qui savait déjà marcher et dont l’exemple pouvait l’exciter et l’instruire. J’attribue cette différence dans le développement de la marche à ce fait, maintes fois constaté par les parents des deux enfants, que l’aînée des petits filles prêtait à ses premières tentatives locomotrices une attention plus suivie, plus méthodique. Lorsqu’elle était debout, se tenant à un objet solide, à un fauteuil, à une table, elle ne se risquait à abandonner cet appui que lorsqu’elle avait choisi des yeux un autre objet, placé à une petite distance, pouvant lui offrir un appui nouveau ; et elle se dirigeait très lentement vers ce second objet, en prêtant une grande attention aux mouvements de ses jambes ; ces mouvements étaient exécutés avec le plus grand sérieux, et dans un silence parfait. La cadette, au contraire, était un enfant rieur et turbulent ; dès qu’on l’avait posée sur ses jambes, et qu’elle s’y tenait immobile pendant quelques instants, elle était prise brusquement par un désir de progression qui la poussait en quelque sorte en avant ; il était évident qu’elle ne calculait pas du tout quel était l’objet qui pourrait lui fournir un appui, car elle s’avançait sans la moindre hésitation au milieu d’une partie vide de la chambre ; elle criait, elle gesticulait, elle était très amusante à regarder ; mais elle avançait en titubant comme un homme ivre, et elle ne pouvait pas faire quatre ou cinq pas sans tomber ; aussi le début de la marche fut-il retardé chez elle ; elle ne put marcher seule, avec sécurité, qu’à l’âge de quinze mois.

Les deux enfants ont grandi, et les différences psychologiques que nous venons de signaler n’ont pas disparu ; tout au contraire, elles ont imprimé un caractère bien net à tout leur développement mental. J’en citerai en passant quelques exemples. L’aînée des deux petites filles, celle qui paraît capable d’une attention soutenue, a un caractère froid et concentré ; la seconde est restée d’un caractère ouvert et exubérant ; la première a beaucoup plus de mémoire que la seconde ; elle se rappelle mieux les corrections reçues, ce qui la rend plus facilement éducable ; en outre, dès que sa dentition lui a permis de manger des aliments solides, on l’a fait déjeuner à table, avec ses parents, tandis qu’on est obligé de faire prendre à la cadette ses repas toute seule, car lorsqu’elle se trouve à table avec ses parents, elle est tellement distraite par ce qu’elle voit et ce qu’elle entend qu’elle mange beaucoup moins. Du reste, cette curieuse