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4o Sous le rapport de la durée, la conscience est un moyen fixateur, grâce auquel ce qui est acquis demeure acquis et sert pour des acquisitions nouvelles : c’est une capitalisation. Tant qu’il y a absence de conscience, tout est toujours à recommencer, c’est le travail de Pénélope ; au contraire, dès qu’il y a acte conscient, la fixation a lieu en raison même de l’intensité de la conscience et de la répétition de l’acte. C’est seulement à la fin, quand l’ « enregistrement organique » a eu lieu, que la conscience n’agit plus ou reporte son action ailleurs.

Non seulement la conscience fixe les termes, — images ou sensations, — mais elle fixe aussi les rapports ; elle établit des cohésions ou associations entre les états mentaux. Si on a conscience du rapport des parties au tout, de la cause à l’effet, du principe à la conséquence, ou même simplement d’une rencontre accidentelle dans le temps et dans l’espace, cette conscience ajoute aux raisons objectives d’association une raison subjective qui a une valeur considérable. Certains psychologues prétendent, on s’en souvient, que les idées se lient toujours indépendamment de toute conscience par des liens de pure contiguïté, que l’aperception de la ressemblance et de la différence, par exemple, est un simple effet qui n’influe jamais en rien sur l’association des idées. Il y a là une confusion. Le rappel des idées une fois liées ou soudées n’a sans doute pas lieu par l’aperception même de ressemblance ou de différence, qui supposerait déjà présents les deux termes à comparer. Mais la liaison même et la soudure des termes peut être ou produite, ou accrue par l’aperception de leur ressemblance ou de leur différence, car cette aperception augmente à la fois l’intensité des deux termes et l’intensité de l’acte établissant entre eux un rapport, conséquemment la force et la durée du lien des idées. Si l’idée ab éveille l’idée ac, ce n’est pas parce que j’aperçois actuellement la ressemblance entre ab et ac (ce qui serait un cercle vicieux), mais ce peut être parce que j’ai aperçu autrefois cette ressemblance, et qu’en l’apercevant je lui ai donné, avec une existence idéale qu’elle n’aurait pas eue sans cela, une existence cérébrale, un enregistrement organique. La conscience de la similarité est donc bien un moyen de fixation qui s’ajoute à la simple contiguïté et qui rend possible le rappel des idées une fois fixées. L’idée, comme telle, avec l’aperception qu’elle enveloppe, agit pour la conservation et le renouvellement d’impressions qui, sans elle, eussent été fugitives, et que leurs rapports purement mécaniques, inconscients, n’auraient ni fixées ni liées. Les découvertes de la science ne sont elles-mêmes souvent que la remarque, la conscience d’une connexion qui n’était d’abord