Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée
19
G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

pourrait le combler, certains économistes semblent trouver du plaisir à le creuser encore davantage. Ils tiennent leur doctrine pour une science faite, qu’on doit exposer, qu’on doit appliquer, mais sur les principes de laquelle il n’y a pas lieu de revenir. Et pourtant, si l’on en croit l’un de leurs maîtres, ces principes ne seraient bien arrêtés que depuis tantôt vingt-cinq ans, disons vingt-neuf, depuis le jour apparemment où Bastiat a couronné l’édifice en établissant que la terre n’a pas de valeur par elle-même[1].

L’économique aurait ainsi des textes sacrés, à tout le moins des dogmes immuables, dont nul ne serait admis à se départir ; elle aurait pour mission non la recherche scientifique, mais l’apologie de la propriété privée, tant des terres que des meubles, de l’hérédité et du salariat. Cette idée de l’économique, rappelée non sans quelque hauteur à ceux qui s’en écartent, ne s’accorde peut-être pas très bien avec l’idée moderne de la science en général. Elle explique l’immobilité, nous ne disons pas la stérilité, de l’école orthodoxe française à l’heure où tout autour de nous, en Autriche, en Allemagne, en Italie, en Amérique, et plus encore sur le sol classique de la Grande-Bretagne, les axiomes du passé sont remis au creuset, où les principes et les méthodes sont l’objet de la discussion la plus soutenue et la plus approfondie, tandis que, dans l’ordre pratique, le sentiment d’une nécessité de jour en jour plus accablante pousse tous les gouvernements à des mesures d’un mérite inégal et parfois très discutable pour adoucir le sort de la classe ouvrière et lui procurer la sécurité.

VIII

Entre les docteurs du nouvel empire qui cherchent dans l’histoire la solution des problèmes économiques et les maîtres anglais, autrichiens, italiens qui en demandent les secrets à la psychologie, une école peu nombreuse encore, mais respectée, sinon redoutée, et disséminée un peu partout, s’applique à les formuler dans la langue sévère des mathématiques[2]. À vrai dire, il semble bien que l’économique ait pour objet des quantités, que les grandeurs se mesurent, et que les rapports de grandeurs variables relèvent des mathématiques supérieures. Mais de Robinson dans son île

  1. Voy. Journal des Économistes, t. XXXI, p. 299.
  2. Après Cournot, Stanley Jevons et Gossen, dont on vient de réimprimer le petit livre profondément oublié pendant quarante ans, nous citerons, au nombre des algébristes de l’Économique, de Thuenen, Mangolit et Launhardt, en Allemagne, et, en Angleterre, Edgeworth (Mathematical Psychics, 1881) et Wicksteed (The alphabet of economic science, 1888).