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saurait atteindre ses fins que par la constitution d’un monopole. La construction et Fexploitation des chemins de fer, par exemple, ne sauraient être livrées sans contrôle à l’industrie privée, attendu qu’on sait qu’une ligne une fois établie, il n’est généralement possible ni de ne pas l’employer ni de lui susciter une concurrence. Et quant aux rapports des personnes, le simple laisser-faire serait injuste envers les gens sans avoir, partout où les propriétaires effectifs de la richesse mobilière ou immobilière seraient redevables des privilèges qu’elle confère à des actes antérieurs de l’État, ce qui est le cas, partiellement du moins, dans toutes les sociétés que nous connaissons. Lorsque l’État a créé des riches par des concessions de domaines ou de privilèges, par les libéralités d’un trésor prélevé sur le travail des contribuables, par l’insuffisance de son contrôle ou de tout autre manière, il est responsable vis-à-vis de ceux qui n’ont pas eu de part à ses libéralités. Peu importe que l’inégalité des facultés et des chances dût produire infailliblement l’opposition du riche et du pauvre sous le régime de la liberté pacifique, s’il est établi qu’en fait l’opposition existante tient aux actes des pouvoirs présents et passés. N’invoquez donc plus la hberté comme s’il suffisait d’en prononcer le nom pour répondre à tout. La liberté n’est pas un pavillon fait pour couvrir toutes les marchandises, un paravent pour masquer toutes les pratiques, la liberté est un drapeau dont les pUs flottants nous attirent, un but excellent, un but lointain, qu’il faut conquérir. Quelles que soient les institutions politiques et les lois civiles, la liberté n’existe pas chez des peuples où les classes les plus nombreuses dépendent des convenances d’une autre classe pour un entretien qu’elles obtiennent en travaillant au compte de la dernière, avec des outils fournis par elle et dans l’obéissance à ses prescriptions. Il est difficile de comprendre où les économistes de l’orthodoxie trouvent l’art de rester fermés à cette évidence. Dans de tels pays, les franchises politiques du prolétariat n’ont de prix à ses yeux qu’à titre de moyens pour améliorer sa condition matérielle. Entre ses mains, le suffrage est une arme dont l’école semble ne pas tenir un compte suffisant lorsqu’elle affirme, par exemple, que « pour réfuter le socialisme, il ne faut pas tenir son langage ». Au moins pour le réfuter avec quelque succès, faudrait-il tâcher d’en être compris et tout d’abord d’en être écouté. Si l’ordre actuel est irréprochable, c’est à ses détracteurs, à ses ennemis qu’il faudrait le montrer ; les satisfaits n’ont pas besoin d’arguments pour être encore plus satisfaits et l’exemple de ceux qui renoncent à leurs biens par scrupule n’est pas encore si contagieux qu’il soit urgent de les rassurer. La haine des classes est le gouffre ouvert devant nous : au lieu de se demander comment on