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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

Naturellement, Comte, qui confond méthodiquement la philosophie avec la science, n’a pu échapper à aucune des conséquences de cette erreur. Il parle, à son tour, d’un combat acharné que la science aurait eu à soutenir contre la métaphysique. Il ne comprend pas qu’il impose ainsi à la science la triste nécessité de se combattre elle-même, à certaines époques de son histoire ; car la science a toujours produit sa propre métaphysique, et on peut dire, en ce sens, par exemple, que rien ne pouvait être plus scientifique, au siècle passé, que le matérialisme et le sensualisme.

Non moins illusoires, en définitive, sont les attaques dirigées par Comte contre la spécialité exclusive qui, selon lui, a été le régime sous lequel nous avons vécu jusqu’ici. À ce régime qu’il appelle analytique il voudrait substituer le régime synthétique. Il ne voit pas qu’à côté de la spécialité qu’il réprouve si fort, une généralité correspondante, qui était la métaphysique, a toujours existé. La tendance des sciences à se spécialiser n’a, d’ailleurs, rien à faire avec la question de l’opportunité plus ou moins évidente d’un nouveau régime philosophique. Et il s’agit si peu, en fait, de contenir cette tendance, que Comte lui-même, dans une de ses plus heureuses formules, a dû définir le problème philosophique actuel comme la nécessité urgente de créer une spécialité de plus. Les philosophes ne supprimeront pas les savants, et les savants ne remplaceront jamais les philosophes ; mais l’édification des philosophies particulières des sciences, vaste construction à laquelle Comte a apporté une première et précieuse collaboration, créera entre ces deux catégories de travailleurs intellectuels un lien nouveau, puissant et toujours actif.

La confusion de la philosophie avec la science se fait jour chez Comte dans une autre direction encore, qui n’est pas la moins intéressante à étudier. Dans sa théorie de l’évolution intellectuelle présidant à l’évolution sociale, Comte attribue une action prépondérante à nos conceptions ou à nos connaissances pratiques. Dans sa loi des trois états, au contraire, ce même rôle revient à l’élément qui, dans sa première théorie, subissait l’influence de tous les autres, à l’action philosophique. Il y a là une contradiction patente, qu’aucune distinction entre le sens ascendant et le sens descendant de la série évolutive ne saurait écarter, mais qui s’explique facilement par le caractère empirique de ces deux généralisations, destinées à disparaître le jour où l’on pourra aborder leur vérification définitive, en les rattachant, soit à une loi biologique, d’après la méthode préconisée par Comte, soit à une loi sociologique plus générale, comme nous avons essayé de le faire. En attendant, il faut considérer ces