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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

le scepticisme avec ses conséquences ». Mais les « incertitudes de l’hypothèse » sont précisément « les conséquences du scepticisme », et vice versa. On s’illusionne donc gratuitement lorsqu’on prétend choisir entre l’hypothèse invérifiable, le dogmatisme, et la reconnaissance qu’il n’y a encore qu’elle de possible dans le domaine du savoir général, le scepticisme. On démontre involontairement l’identité fondamentale des systèmes philosophiques qui ont toujours passé pour être inconciliables, et on prouve seulement que les prétendus adversaires, les dogmatistes les plus intransigeants comme les plus outrés des pyrrhoniens, ont constamment été d’accord quant à la nature incertaine du terrain sur lequel les premiers se sont risqués et où les seconds ont refusé de mettre les pieds. La question entre le dogmatisme et le scepticisme est évidemment mal posée. Mais la psychologie actuelle, si imparfaite qu’elle soit, permet déjà d’écarter le dilemme illusoire qui a si longtemps troublé les philosophes et qui se réduit à une tautologie manifeste. Le dogmatisme et le scepticisme ne sont que deux formes voisines et se transformant sans cesse l’une dans l’autre, d’une seule et même erreur de l’esprit humain : la croyance à la réalité de l’inconnaissable.

L’ancienne métaphysique et le positivisme moderne sont dans le même cas et présentent entre eux le même rapport. La philosophie positive a été une réaction grandiose de l’esprit inductif ou scientifique contre l’ancien esprit métaphysique et foncièrement déductif. Un philosophe contemporain, M. Glay, le reconnaît judicieusement. « La déduction, dit-il, la déduction qui part des axiomes, ayant obtenu un succès éclatant dans la construction des mathématiques, avait fourvoyé la spéculation dans le labyrinthe de la métaphysique, où elle épuisait l’intelligence humaine. Et cependant l’induction, se fondant sur des données sans garantie, prouvait par ses résultats qu’elle était dans une voie meilleure. Il arriva que la métaphysique et sa méthode perdirent ainsi tout crédit auprès du sens commun, qui, dès lors, inclina vers la résolution de borner la spéculation à la simple recherche de la connaissance sans garantie. Désormais, il ne devait reconnaître comme critère du vrai que l’utilité, surtout celle qui consiste à prévoir. En outre, et sans y prendre garde, il s’arrogea le droit de rejeter les données qui contrariaient ses tendances, à savoir, celles qui penchaient vers la métaphysique. En cela son élan lui fit dépasser la borne. Il eût pu se maintenir sur la pente sans tomber dans la métaphysique même[1]. »

L’accusation de métaphysique inconsciente portée ici contre le

  1. Clay, l’Alternative. Paris, Alcan, 1886, p. 192.