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G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

les points qui divisent les écoles d’économistes sont essentiellement des questions de philosophie.

V

S’il plaît à l’école allemande d’abandonner la discussion des principes, de renoncer à l’abstraction comme instrument de recherche et d’envisager constamment l’ensemble des questions sociales dans leur totalité, en utilisant pour cette étude, sans souci de les perfectionner, les catégories élaborées par les fondateurs d’une science qu’elle dédaigne, nous y donnons volontiers les mains ; mais elle ne peut pas empêcher que le problème de la richesse ne subsiste comme tel, et que l’examen de ce problème ne constitue naturellement une recherche dont la place reste marquée dans le système de la science en général ; on peut bien changer le programme d’une chaire académique, mais changer l’objet d’une science n’est pas un propos sérieux.

La vieille école avait bien compris que la théorie de la richesse ne saurait trouver sa conclusion pratique ailleurs que dans l’art de s’enrichir, dont le besoin l’a suscitée. Ce n’est pas sur ce point qu’elle a besoin de se corriger, ses défauts sont ailleurs. Le nom d’économie politique adopté par elle semble lui donner pour but pratique l’enrichissement collectif de la nation ; puis, sous l’influence d’un nom trop particulier, l’idée s’altère et le problème de la distribution des richesses reçoit chez elle la forme suivante : quelle répartition des biens entre les individus déterminera le plus grand accroissement d’une masse composée idéalement par la réunion de ces biens ? Un tel accroissement de la richesse collective étant le but pratique de la science telle que les économistes la conçoivent, dans ce sens qu’il résulterait d’un ensemble d’efforts dirigés suivant les règles de cette science, la confusion de l’abstrait et du concret leur fait penser que l’économique ainsi comprise a mission d’inspirer la loi, et que le mode de distribution des biens propre à en grossir le plus promptement la masse totale doit être effectivement adopté ; tandis que s’ils avaient conçu le problème économique dans sa généralité, ils n’auraient eu garde d’oublier que les richesses ne sont que des moyens, et que la répartition préférable, au point de vue simplement économique, toutes réserves faites en faveur de la morale et du droit, sera celle qui procurerait la plus grande somme de jouissances au plus grand nombre d’individus.

Ainsi l’objet de l’économique ne saurait être restreint à la richesse