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ANALYSES.l. dauriac. Croyance et réalité.

substances, M. Dauriac, avec l’appui de Spinoza et de Lotze, n’a pas de peine à faire voir qu’appliqué avec rigueur, il aboutit nécessairement au monisme. Nous ne pouvons que signaler ici son ingénieuse et subtile démonstration.

Le réalisme conduit au monisme ; on vient de voir que le monisme mène au substantialisme. Qu’est-ce donc que la substance ? Deux idées sont réunies dans la signification du mot substance : l’idée de permanence et celle de support. Ecartons d’abord ce dernier élément : c’est une illusion de l’imagination. Par abstraction, on considère successivement chacune des qualités d’un corps comme ayant une sorte d’existence distincte. Puis on se souvient qu’elles font partie d’un tout, et pour reconstituer ce tout, il faut un agent, un collectionneur ; on a recours à la substance. Mais « ce recours est inutile. Pourquoi ? parce qu’il n’y a eu rien de décomposé, ni de démembré. On s’est mépris sur la nature de l’opération ; on a raisonné comme s’il s’agissait d’une analyse concrète. Or, c’est l’abstraction qui seule s’est mise en frais ; pour réunir ce qu’elle a séparé, aucun expédient métaphysique n’est indispensable. Faites cesser l’abstraction, et la réalité concrète se montrera telle qu’elle est, telle que jamais elle n’a cessé d’être. Ainsi le problème qui consiste à se demander comment les qualités demeurent associées les unes aux autres, est un problème imaginaire. Il n’y a rien à se demander. »

Reste la permanence attribuée à la substance par opposition à la mobilité des phénomènes. C’est ce qu’il y a d’essentiel dans l’idée de substance. Comment la connaissons-nous ? Si c’est a priori, il faut que l’idée de substance se suffise à elle-même. On l’a bien soutenu : mais Descartes lui-même convient que la substance ne saurait exister « sans quelque attribut que nous puissions remarquer ». Dira-t-on que nous nous connaissons nous-mêmes comme substances ? M. de Biran l’a pensé ; mais il s’est ravisé sur la fin de sa carrière Et en effet, qu’on examine attentivement, et on verra que le moi ne se connaît jamais à l’état de pureté métaphysique, en dehors de ses manières d’être. C’est par autre chose que ce substratum indéterminable qu’on devra expliquer l’identité du moi. Enfin la substance quelle qu’elle soit échappe par nature à toute prise de la pensée, et il faut souscrire à cette formule de Schopenhauer : Être connu est en contradiction avec être en soi.

Fût-elle connue, cette chose en soi servirait à rendre compte de ce qu’il y a de stable dans les êtres. Comment s’accorderait-elle avec ce qu’ils offrent de variable ? Comment comprendre qu’elle soit immobile quand, ses propres manières d’être, qui ne sont que par elle, changent sans cesse ? Et si elle agit, elle change : elle cesse d’être la substance immuable. Ainsi le concept de substance n’est pas seulement obscur : il est contradictoire.

Nous en avons fini avec les substances contingentes de la philosophie cartésienne : mais voici que se dresse devant nous la substance de la