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parfois contradictoire, Hamilton par une démonstration rationnelle et métaphysique, Kant par sa célèbre réfutation de l’idéalisme de Berkeley. M. Dauriac résume ces théories avec beaucoup de précision et de netteté. Elles ont ceci de commun que l’espace nous y apparaît comme une réalité distincte de la conscience, s’opposant à elle pourtant, et nécessaire à la conscience pour que celle-ci puisse se connaître elle-même. Mais comment comprendre cette rivalité entre la conscience, par essence étrangère à l’étendue, et l’étendue qui lui est indispensable ? C’est une chimère, car « quel autre nom donner à l’hypothèse d’un être en guerre contre sa loi ? N’est-ce point de toutes les conjectures la plus audacieuse, la plus illogique ? N’est-il point absurde de vouloir dissocier la loi d’un être de cet être ? Si le moi est une chose, l’étendue une autre chose, c’est que l’étendue est une propriété extrinsèque de certains états de conscience surajoutée à ces états, sans raison assignable, et même contre toute raison plausible ; c’est que la conscience préexiste à elle-même, qu’elle se donne sa loi. Outre que cette supposition est inintelligible, qu’aucune paraphrase ne la peut développer, elle en appelle immédiatement une autre plus étrange mille fois : celle d’un être se donnant sa loi, et se la donnant contraire à son essence. »

L’étendue n’existe donc que par rapport au sujet : l’idéalité de l’espace est une conséquence des principes kantiens devant laquelle Kant a reculé, mais qui s’impose. Ainsi, comme l’a bientôt montré Fichte, le monde extérieur rentre dans le sujet : nous aboutissons au monisme.

Une dernière ressource reste à ceux qui veulent chercher la réalité et échapper à l’idéalisme subjectif (nous ne savons pourquoi M. Dauriac identifie toujours l’idéalisme et le subjectivisme égoïste) : c’est le monisme. On conçoit alors au delà du sujet et de l’objet tels qu’ils apparaissent dans la connaissance, une réalité, une substance, dont ils ne sont que des manifestations ou des modes : l’intérieur et l’extérieur désignent non plus des êtres ou choses, mais des moments, des phases de l’évolution de l’Être-Un. Il importe peu d’ailleurs que cette réalité soit définie comme étrangère à la nature du sujet, ou comme participant à cette nature. Ainsi la doctrine de Schopenhauer, en considérant le monde comme volonté est une doctrine moniste. Il suffit qu’on ne définisse pas la substance en termes de conscience, mais comme une chose, quelle qu’elle soit, qui préexiste à l’éclosion de la conscience. Le monisme, voilà donc le dernier nom du réalisme.

M. Dauriac se demande si on peut échapper au monisme : et pour résoudre cette question, il cherche d’abord comment on y arrive. Le déterminisme y conduit directement : mais on a vu tout à l’heure qu’il n’est qu’un postulat ; nous pouvons donc ici n’en pas tenir compte. En fait, la plupart des métaphysiciens y ont été amenés par l’application de ce principe si évident (c’est une question de savoir si ce n’est pas un jugement analytique) : point de qualité sans substance. Si au premier abord cet axiome semble conciliable avec la pluralité des