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G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

sible de concevoir quel sens l’éminent auteur attache ici à l’expression science exacte, et pour entendre comment il peut reprocher son matérialisme à l’économique d’Adam Smith, nous avons besoin de nous rappeler que la transformation de cette science ne porte pas uniquement sur sa méthode, mais s’étend jusqu’aux problèmes dont elle poursuit la solution. La fin de l’économique ne serait plus la richesse, mais la prospérité nationale en général et par-dessus tout sa prospérité morale, programme excellent, admirable, mais dont la réalisation exige le concours d’activités obéissant chacune à sa loi propre et qu’on ne saurait étudier simultanément sans tout jeter dans la confusion. Cette conception de l’économique est, d’ailleurs, contraire à l’usage de toutes les langues, y compris celle de l’auteur, ainsi qu’il l’avoue implicitement lorsqu’il définit l’activité économique « une activité matériellement profitable », si bien qu’il assigne pour fonction à la science économique de veiller à ce que l’activité économique n’en fasse pas trop. Je note aussi que l’école se fait un mérite d’en avoir fini avec le cosmopolitisme dans la science, laissant à chacun le soin d’estimer suivant son instinct et de mesurer avec son compas la portée véritable d’un tel progrès.

Quant à la tendance de l’économique historico-morale, elle ne se borne pas à repousser la thèse a priori que dans un milieu où toutes les richesses sont appropriées et, quelle que puisse en être la collocation, le maximum de bien-être résultera du libre jeu des activités privées ; elle ne se borne pas à dire qu’il y a des distinctions à faire et que la juste mesure de liberté économique varie suivant les circonstances ; elle pose en principe que la contrainte est la règle et la liberté, l’exception. « En tout cas, dit M. Schoenberg, la liberté ne doit être accordée que dans la mesure où il est prouvé qu’elle sert l’intérêt collectif. L’individu ne trouve pas dans son intérêt un droit naturel, personnel et primitif à la liberté d’acquérir, mais à titre de membre de la société morale et en raison du but moral collectif, on peut lui accorder et on lui accorde un droit dont ce but est la mesure. Un titre à la liberté d’acquérir[1] n’existe en sa faveur qu’autant que cette liberté garantit la prospérité du ménage national, savoir la réalisation de son but moral. Lorsqu’il s’agit de savoir si la liberté doit être accordée ou refusée, c’est donc un faux principe de partir du droit naturel de l’homme à la liberté ; il ne faut pas considérer la pleine liberté individuelle comme la condition juridique naturelle, idéale, et demander à chaque restriction la preuve qu’elle est nécessaire, principe qui est celui du libéralisme depuis le siècle dernier ;

  1. Et par conséquence d’exister.