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s’ignorent réciproquement. « Si l’une connaissait l’autre, si les images du sens tactile s’associaient avec les images du sens visuel, une conscience commune au profit de l’une des deux personnes se reconstituerait[1] » Mais ce sont là des inadvertances, et j’ai montré, comme M. P. Janet veut bien le rappeler, qu’il peut y avoir conservation des associations naturelles entre les deux groupes ; ajoutons même qu’il peut y avoir concours, collaboration, et qu’une même synthèse psychique, ayant telle fin unique, peut contenir des éléments empruntés à deux consciences. Ainsi, le sujet 1 pêne à une lettre et le sujet 2 l’écrit ; n’est-ce pas là en quelque sorte un processus bien un, bien cohérent ? et cependant deux consciences se le partagent, et la personne qui a conscience du chiffre ne sait rien de la conscience qui l’écrit.

Je dois ajouter de suite que d’après des observations récentes, cette rencontre des deux consciences ne se maintient pas longtemps chez quelques sujets ; pour reprendre le même exemple, quand une hystérique pense longtemps à un chiffre, ou, mieux encore, fait de tête une addition et qu’à son insu sa main anesthésique écrit, il arrive parfois, non toujours, un moment où le premier sujet ne se souvient plus de rien ; c’est le second qui semble avoir tout accaparé, qui continue à écrire le chiffre, et qui écrit le total de l’addition. L’oubli du premier sujet ne se produit pas quand le second n’écrit rien. Il semble donc dans ces expériences que la seconde conscience s’est développée aux dépens de la première.

Quoi qu’il en soit, arrivons à l’explication de l’auteur. Il distingue ici profondément deux choses, l’automatisme des sensations, des images et des mouvements, et la perception personnelle, c’est-à-dire un jugement synthétique qui associe les divers éléments intellectuels à l’idée du moi. Quelques figures schématiques matérialisent cette conception. L’automatisme des sensations n’est pas atteint dans l’hystérie ; il continue à fonctionner régulièrement comme chez un individu normal ; ou, du moins, pour ne rien exagérer, car une pareille thèse serait difficile à soutenir, l’automatisme est moins atteint que le reste. Ce qui donne lieu à une double conscience, c’est que parmi les éléments intellectuels, les uns sont synthétisés avec une idée du moi, et que les autres ou ne sont pas synthétisés du tout, ou le sont avec une seconde idée du moi.

Allant plus loin, l’auteur ajoute : L’activité de l’esprit qui est automatique ne ferait que se répéter sans rien innover ; la synthèse qui forme la perception personnelle constitue l’activité originelle qui peut se modifier, s’adapter à des circonstances nouvelles, et qui est la source de l’automatisme. C’est « une opération de synthèse active et actuelle par laquelle les sensations se rattachent les unes aux autres, s’agrègent, se fusionnent, se confondent dans un état unique auquel une sensation principale donne sa nuance, mais qui ne ressemble probablement d’une manière complète à aucun des éléments constituants ; ce phénomène

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