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ANALYSES.p. janet. L’automatisme psychologique.

expériences qui mettent en lumière la vraie nature de l’anesthésie de dissociation. Bien que ces faits me soient familiers, car ce sont ceux que j’ai le plus étudiés, je relève encore dans l’exposition si nourrie de M. Pierre Janet un grand nombre de détails intéressants et de réflexions justes. Un mérite du livre que nous analysons est certainement l’abondance, mais nous ne pouvons pas en tenir compte dans une analyse aussi courte que la nôtre. L’anesthésie de la rétine donne lieu à une discussion spéciale, dont nous nous sommes déjà occupés dans cette Revue en rendant compte d’une brochure de M. Pitres sur l’anesthésie hystérique. Il est d’observation déjà ancienne que beaucoup d’hystériques perdent la perception de certaines couleurs dans la vision monoculaire et la retrouvent dans la vision binoculaire, alors même qu’on empêche par certains artifices les deux champs visuels de se confondre. M. Pierre Janet, après avoir exposé la difficulté, montre que même dans la vision monoculaire ces couleurs sont perçues, mais restent inconscientes ; l’écriture automatique en donne la preuve facile. Mais alors on peut se demander d’où vient que telle perception, inconsciente dans la vision monoculaire, arrive à la conscience quand les deux yeux sont ouverts. C’est une question qui mériterait d’être examinée.

M. Bernheim, qui paraît réduire tout mécanisme psychologique à la suggestion, semble supposer que le sujet a l’idée de sa cécité monoculaire ; cette idée l’abandonne dans la vision binoculaire, alors même que les deux champs visuels se trouvent séparés par des artifices d’expérience, et alors, croyant percevoir avec deux yeux telle couleur qu’il ne perçoit réellement qu’avec un œil, il la perçoit correctement. J’ai indiqué une autre explication tirée des expériences de M. Féré ; les deux yeux étant ouverts, les sensations de chacun sont pour l’autre une cause d’excitation, de dynamogénie. Il me paraît possible d’ajouter une autre explication à la précédente ; je remarque que les deux yeux sont habituellement associés dans les conditions normales de la vision ; il y a, comme on dit, synergie ou, si l’on préfère, association, de même qu’entre les mouvements des deux bras. Or, il arrive, et M. Pitres en rapporte un exemple curieux, que chez des sujets qui ont un membre anesthésique, le bras anesthésique ne peut se mouvoir volontairement que s’il le fait en même temps que l’autre. Voilà l’influence de l’association, de la synergie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la vision ?

Je ne puis quitter ce chapitre sans défendre une théorie de l’anesthésie que M. Pierre Janet combat, en semblant prévoir qu’elle est mienne. M. Janet suppose qu’on expliquera l’anesthésie ou la subconscience par la faiblesse de certaines sensations, par leur défaut d’intensité ; et il oppose à cette manière de voir plusieurs arguments que je trouve inexacts. Au lieu de raisonner, je crois préférable de citer un fait d’observation dont je garantis l’exactitude. Quand une hystérique jouit d’une sensibilité quelconque, par exemple de la sensibilité visuelle, on peut souvent donner à ce sens des impressions inconscientes en