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ANALYSES.p. janet. L’automatisme psychologique.

paroles échangées, car ce souvenir dans les intervalles où l’anesthésie de la peau existe, pourrait être conservé à la place du souvenir de la sensation tactile, et suffire même pour la faire renaître. Cette remarque très juste me rappelle une observation que j’ai faite sur un sujet qui, malgré une très mauvaise mémoire visuelle, peut par exemple se souvenir qu’une personne a des yeux noirs, parce qu’il se souvient qu’on en a fait la remarque devant lui ; le souvenir auditif, grâce au langage, peut suppléer aux pertes de mémoire de la vue et de bien d’autre sens.

Étudiant les variations de la sensibilité dans les somnambulismes, M. Janet s’est aperçu que beaucoup d’hystériques changent de type suivant l’état où ils se trouvent ; tel par exemple est visuel à l’état de veille, il deviendra auditif dans un premier somnambulisme, et moteur dans un second. Les modifications périodiques de la sensibilité expliqueraient donc la mémoire alternante. Ainsi tous les souvenirs tactiles pourront se retrouver dans un somnambulisme où l’anesthésie de la peau disparaît. Si, dans la plupart des cas, il y a pendant l’état anormal souvenir de ce qui s’est passé pendant la veille, c’est que le somnambulisme coïncide avec un accroissement et non une diminution de la sensibilité chez les hystériques ; d’après M. Janet, il y a même un somnambulisme parfait où le sujet retrouve l’intégralité de ses sens.

La grosse objection, c’est qu’il y a sans doute beaucoup de sujets qui ne sont point anesthésiques et qui cependant peuvent être endormies. M. Janet répond que chez de pareilles personnes, il doit y avoir, sinon anesthésie vraie, du moins anesthésie par distraction. Ces sujets, en pratique, ne se servent pas de tous leurs sens et de toutes les images de ces sens ; ils en négligent un grand nombre pour se contenter de quelques images prédominantes et habituelles. Le somnambulisme change les images prédominantes sans donner des sensibilités nouvelles. Tout en faisant remarquer que ce dernier argument reste un peu vague, car jusqu’ici l’état de distraction ne peut pas être aussi régulièrement constaté qu’une anesthésie, nous pensons que la théorie de M. Pierre Janet doit être admise provisoirement. C’est en tout cas la meilleure, la plus complète, la plus vraisemblable qu’on ait jamais proposée ; elle ne heurte aucun fait, et elle en explique plusieurs.

Nous arrivons au troisième et dernier chapitre de la première partie. Ce chapitre traite de la suggestion et du rétrécissement du champ de la conscience. Passons rapidement sur l’historique et sur la description des principales suggestions à forme active ; elle ne contient rien de très nouveau, sauf peut-être un point qui mérite d’être relevé ; la critique de l’auteur a très finement découvert l’erreur commise par M. Dumontpallier et ses élèves quand ils ont pensé démontrer la dualité cérébrale au moyen d’hallucinations bilatérales de caractère différent suivant le côté affecté. Élargissant la théorie du point de repère que j’ai proposée en 1884, M. Janet montre que dans ces hallucinations les différents points du corps servent simplement de points de repère,