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L’IMAGINATION

DANS LA DÉCOUVERTE SCIENTIFIQUE, D’APRÈS BACON[1]


I. — De l’hypothèse. (Vindemiatio prima.)

L’intelligence laissée à elle-même, et qui ne suit que ses propres mouvements, avait paru à Bacon le plus dangereux des guides ; presque toujours elle s’égare, les erreurs des philosophes en sont la preuve[2]. Aussi devons-nous, au lieu de l’écouter comme un oracle, lui imposer silence, et n’interroger que la nature et l’expérience. C’est de là, en effet, et non point d’ailleurs, que nous viendront des réponses sûres et des révélations au sujet des lois de la réalité. Néanmoins les trois tables que Bacon dresse pour chaque fait qu’il étudie, tables de présence, d’absence, et de degrés, lui permettent seulement, semble-t-il, d’exclure et de rejeter les circonstances qui ne sont pas la cause du fait ; mais ensuite il se trouve un peu dans l’embarras : car il peut bien apprendre de la sorte ce que la cause n’est pas ; mais où s’adresser, après cela, pour savoir ce qu’elle est ? Est-ce avec des négations seulement qu’il parviendra à établir une loi de la nature ? Non certes, et il lui faut enfin risquer une affirmation, avancer, sans oser le prétendre encore, que peut-être la cause est ceci ou cela. Sans doute il y a loin de ce premier pas timide et prudent vers une explication, et des courses aventureuses à travers le champ illimité des causes, que Bacon a si sévèrement interdites à l’esprit. Il lui rend toutefois sa liberté d’allure, s’apercevant bien que, s’il restait immobile, la science n’avancerait guère. Il lui permet, il lui demande même de se prononcer, et attend

  1. Cet article est un chapitre détache d’une étude historique qui paraîtra prochainement sur la Philosophie de Bacon
  2. Sur l’lntellectus sibi permissus et ses défauts, cf. Nov. Org., l. I, aph. 20 et 21, 9, 10, etc.