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G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

« III. De quelle façon doit-on partager la richesse ? » — Avant tout, c’est une question de droit, la question économique serait plutôt : Quelle distribution de la richesse en favorise le mieux la conservation et l’accroissement ?

D’une manière générale, en définissant les sciences par leur matière, on se prive des moyens d’observer entre elles des distinctions dont le maintien est d’une souveraine importance, et qui deviennent parfaitement claires lorsqu’on emprunte leur définition à la considération de leur origine et de leur fin. Confondre l’économique, le droit et la morale parce que toutes ces disciplines s’occupent de la richesse et que toutes trois ont leur mot à dire sur le règlement des mêmes questions[1] nous paraîtrait un expédient désastreux. Il aurait entre autres pour conséquence de faire envisager tous les devoirs moraux comme exigibles par voie juridique, c’est-à-dire la suppression de toute liberté civile ; il produirait surtout le gâchis ; tandis que rien ne s’oppose à ce que le même objet soit envisagé successivement au point de vue économique, au point de vue juridique et au point de vue moral, avant de prendre une résolution et de formuler une conclusion pratique.

Ces distinctions si naturelles, si légitimes, et nous ajouterons si bien consacrées, nous permettront de repousser ou du moins d’atténuer sensiblement une critique spécieuse dont on frappe assez souvent les économistes de l’ancienne école. On leur reproche de forger un homme abstrait dont toute la conduite est dictée par la considération du profit, en méconnaissant la diversité des mobiles qui font agir l’homme réel. Les économistes ne méritent pas cette censure lorsqu’ils restent dans leur département sans trancher ni de l’historien ni du prophète. Ils s’abusent lorsqu’ils se flattent d’expliquer par le jeu d’un mobile unique la marche effective de la société, tout comme lorsqu’ils prétendent régler l’ordre et la marche de la société par la considération de ce seul mobile, bien que pourtant cette considération leur permette de jeter un grand jour sur l’histoire et de signaler au législateur bien des abus. En leur qualité d’économistes, ils n’ont réellement à s’occuper que de l’intérêt, leur office est précisément de constater quels effets telle façon d’agir aura sur la richesse et de quelle manière il faut se conduire pour s’enrichir ou pour se ruiner. C’est du reste ce qu’a fort bien compris l’auteur des Principes, et tout en déclarant impossible et fâcheux le départ de l’économique du droit et de la morale, il les distingue parfaitement. Nous suivrons son exemple de préférence

  1. Principes, etc., p. 6.