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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

lui-même. La pensée ne pourrait avoir pour cause le mouvement que si celui-ci disparaissait pour lui laisser place et se trouvait ainsi transformé en pensée ; mais c’est ce qui n’a pas lieu et ne peut avoir lieu, car le mouvement, tel qu’il est défini par l’évolutionnisme mécaniste, n’enveloppe dans sa définition aucun élément psychique. Comment donc la pensée pourrait-elle venir du mouvement comme tel ? Il faut admettre dans le substratum réel du mouvement quelque chose qui, outre le mouvement, enveloppe la racine de la pensée, du sentiment, de l’appétition, en un mot du psychique. N’affirmez donc pas que le mouvement, à lui seul, explique et conditionne tout, puisque à lui seul il ne définit pas tout et ne qualifie pas tout. Là où se produisent des qualités nouvelles, il faut qu’il y ait des conditions nouvelles ; des apparences nouvelles supposent elles-mêmes des conditions nouvelles. Et ici, les prétendues apparences sont précisément les seules réalités immédiatement connues et saisissables en elle-mêmes, à savoir les faits de conscience, où l’esse ne peut plus se distinguer du percipi. D’une réalité réduite par abstraction à des atomes, à des chocs, à des mouvements, ne peut sortir la nature entière, telle que nous la connaissons avec son activité, sa vie, sa pensée. De la géométrie plane à deux dimensions on ne déduira pas la géométrie des solides, parce que la troisième dimension ne se trouve pas contenue dans les deux autres ; il faut évidemment faire appel, dans la géométrie, à des données et hypothèses nouvelles ; et de même, dans la philosophie de la nature, il faut faire appel à des faits nouveaux. Notre idée du mécanisme universel n’enveloppe pas la pensée, mais la cause réelle des choses doit envelopper la pensée. Notre idée n’est qu’un réseau au moyen duquel nous essayons d’atteindre l’être comme l’enfant le papillon ; nous l’atteignons en ce sens que nous l’emprisonnons ; mais nous n’avons pas pour cela pénétré en lui. Le mécanisme, pour notre expérience, constitue l’élément représentable des phénomènes, parce qu’il est la condition de la représentation numérique, spatiale et temporelle, conséquemment de l’intelligibilité ; mais le mécanisme n’est pas pour cela la réalité ultime ; il en est seulement la manifestation générale dans l’ordre de la quantité, de l’espace et du temps. Le système un des choses réelles, distinctes par la qualité et non pas seulement par la quantité (nombre, espèce et temps), donne lieu, en vertu de ses actions et réactions réciproques, non seulement au monde mécanique, mais aussi au monde de la conscience, dans lequel seul, en définitive, les lois du mécanisme trouvent place en tant que lois, sont conçues et promulguées. L’évolutionnisme exclusivement mécaniste est une métaphysique qui