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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

nous, avec ce que nous faisons et sentons nous-mêmes. Nous dirons alors que les êtres évoluent parce qu’ils ont essentiellement tels modes d’agir et de pâtir, telles appétitions élémentaires et telles sensations élémentaires ou pré-sensations.

Darwin se montrait, au fond, plus philosophe que Spencer lorsqu’il considérait l’évolution comme un phénomène à expliquer par des relations plus fondamentales, telles que la sélection naturelle résultant de la concurrence pour la vie. La concurrence pour la vie est un principe plus profond que le mécanisme, parce que la vie se rapproche davantage de l’action et de la passion. Si les espèces se produisent et prennent telles ou telles formes, ce n’est pas, en quelque sorte, pour les beaux yeux de la loi d’évolution ni pour le plaisir de passer de l’homogène à l’hétérogène ; les espèces se produisent parce que les cellules et les organismes ont faim ; et ils ont faim parce qu’ils ont des appétitions, parce qu’ils agissent et pâtissent, parce qu’ils font effort et souffrent. Le darwinisme peut s’interpréter plus psychologiquement que le mécanisme de Spencer. Au lieu de voir dans les lois biologiques ou psychologiques des complications de lois mécaniques, le darwinisme nous invite plutôt, par le spectacle de la lutte pour la vie, à comprendre le mécanisme lui-même comme une forme de cette lutte pour la vie, qui, tout bien considéré, se résout à son tour en lutte pour la moindre peine et le plus grand bien-être, c’est à-dire en lutte d’appétitions et de volontés.

Il faut donc se rappeler que l’évolution n’est pas une loi antérieure aux facteurs mêmes et les régissant comme un code, mais qu’elle est la forme et le signe du processus appétitif qui constitue l’existence interne en nous et, vraisemblablement, en toutes choses. Les lois mécaniques, dont l’évolution n’est qu’une résultante générale, sont déjà elle-mêmes des résultantes ; elles ne sont pas les vraies lois radicales de la nature, mais des produits déjà complexes et extérieurs de lois plus fondamentales. On fait toujours de la mythologie et même de la théologie jusque dans les explications mécanistes du monde. On considère le mécanisme comme une nécessité imposée aux choses du dehors, Ανάγκη ου Ζεῦς ; on croit que le mécanisme de la nature extérieure est, en quelque sorte, une condition préalable, une pré-condition des choses elles-mêmes. Le mécanisme, au contraire, n’est que l’expression de leur propre activité dans son rapport avec le milieu, la conséquence de leurs propriétés intimes et constantes ainsi que de leurs rapports mutuels. En un mot, il n’est pas la cause, mais l’effet, il n’est pas le démiurge, mais la forme du cosmos engendré. Il existe entre les choses certaines relations qui peuvent se définir complètement et exclusivement par