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G. SEGRÉTAN. — L’ÉCONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE

qu’il n’en existe à notre disposition qu’une quantité limitée. Utilité et rareté, tels sont les attributs constitutifs du bien économique ou de la richesse, et nous saluerons la richesse partout où nous discernerons ces attributs. Traiter chaque objet et chaque fonction suivant sa valeur, c’est-à-dire suivant l’utilité dont ils sont pour nous comparativement à l’utilité d’autres services et d’autres objets, voilà tout le secret de l’économique.

Ainsi comprise, cette discipline trouve aisément sa place dans le cadre de la philosophie : classe des sciences anthropologiques, genre des sciences morales, dont la vie pratique et la direction de la volonté forment l’objet, parallèlement aux sciences qui ont pour matière les lois de la pensée et pour objet la connaissance, ainsi qu’aux descriptions esthétiques, vouées à l’étude de ces sentiments contemplatifs qu’on pourrait appeler désintéressés par opposition à ceux de l’ordre économique, afin de les exciter et de les satisfaire par le travail mental et musculaire au service de l’imagination créatrice, et par la contemplation des produits d’un tel travail.

La formule de ces éléments que nous ruminons laissera toujours à critiquer et à reprendre, vu la difficulté d’être complet, même lorsqu’on ne craint pas d’être assommant. Au fond, la pensée est l’objet comme elle est l’outil de toute la science ; mais, dans la logique, la pensée travaille à se rendre compte des lois relatives à son but spécial, c’est-à-dire à la réalisation de la pensée comme telle par la connaissance ; dans l’esthétique, la pensée cherche les lois qui la dirigent lorsque, sous l’inspiration du sentiment, elle travaille à la satisfaction de ce sentiment lui-même ; dans l’éthique, à laquelle nous regrettons de ne pas pouvoir donner le nom plus directement significatif de pratique[1], la pensée affirme les lois qu’elle doit suggérer à la volonté de s’imposer elle-même pour la conduite de la vie, c’est-à-dire dans ses relations avec les autres volontés.

Sans toucher au problème des subdivisions possibles de la logique et de l’esthétique, constatons maintenant la façon naturelle dont s’articule la science pratique suivant les buts principaux poursuivis par la volonté dans ses différentes sphères d’action : l’avantage personnel dans la société industrielle, où chacun s’efforce par le travail de donner une assiette à son existence ; l’intérêt collectif, l’unité morale par l’accord spontané des volontés dans une société de libre amour ; enfin la justice, ou la liberté extérieure dans cette

  1. On le risquerait, s’il n’était affecté d’une ambiguïté semblable à celle qui nous détourne de nommer Économie la doctrine que nous cherchons à placer.