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L’ÉCOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE[1]



L’homme est une intelligence servie par des organes et gouvernée par des appétits. La pratique a précédé la théorie ; la science naît du besoin, les problèmes qu’agite la spéculation ont été posés par la vie. Il faut s’en convaincre pour comprendre la peine qu’éprouvent les sciences à se constituer, à découvrir leurs limites, à se définir, à se nommer. Des mots suggérés par les besoins du passé et consacrés par l’usage vulgaire ne font pas loi pour l’esprit ; on ne saurait réduire la géométrie à l’arpentage en se fondant sur la transparente étymologie des syllabes qui la désignent. La science économique cherche encore son nom ; celui d’économie politique dont on persiste à l’affubler a de plus graves défauts que sa longueur encombrante : il dit autre chose que ce qu’il faut dire, les deux vocables qui le composent circonscrivent un problème particulier dont la solution ne saurait se trouver qu’au moyen d’une science plus générale, et cette science plus générale, qui demande à se constituer, est gauchie, déviée, détournée de son objet légitime par le nom accidentel qu’elle subit.

À cette confusion du problème général de l’économie et du problème particulier de l’économie des nations, joignez la confusion de l’abstrait avec le concret, la confusion de la science avec l’art, et vous aurez une idée de l’état actuel des choses, vous commencerez à soupçonner ce qu’il faudrait de patience et d’habileté pour se dégager du fouillis des systèmes, et pour constituer enfin la discipline dont l’organisme de la philosophie a besoin.

I

La théorie précéderait la pratique si l’homme était une pure intelligence et s’il ne fallait pas dîner ; mais comme pour philosopher

  1. Principes de l’économie politique, par M. Charles Gide, deuxième édition, complètement refondue.