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ANALYSES.a. loria. Teoria economica, etc.

monté sur son système, il va loin et ne se laisse pas désarçonner facilement, mais peut-être est-il en danger de crever son cheval sous lui. N’importe, il est fort intéressant à lire, et ses erreurs mêmes sont instructives. « À chaque époque historique nous trouvons que la classe en possession exclusive du pouvoir est celle qui prévaut économiquement, soit celle des propriétaires d’esclaves dans le monde gréco-romain, soit celle des seigneurs féodaux au moyen âge, ou celle des propriétaires bourgeois à l’époque contemporaine ; pendant que la classe travailleuse ou est brutalement exclue de toute participation au pouvoir politique comme dans l’antiquité, ou n’y participe que nominalement, comme on en voit un exemple dans la représentation de la bourgeoisie aux États généraux français, et dans les candidatures ouvrières d’aujourd’hui, lesquelles ne menacent guère, si ce n’est de très loin, la prépondérance politique de la classe capitaliste. » En deux mots, souveraineté dérive de propriété. « Toute révolution politique n’est que le contrecoup et le résultat d’une révolution économique » précédemment opérée. Si quelques faits çà et là se refusent absolument à rentrer dans cette formule, qu’à cela ne tienne. Précisément parce que « les rapports politiques ne sont que l’involucre superficiel, le froc extérieur de la société, » il faut remarquer que « à la tête d’un homme de génie et à celle d’un crétin peut s’adapter un même chapeau », et, par suite, il ne faut pas s’étonner si « à des formes économiques très diverses peuvent répondre des rapports économiques semblables ». Du reste, le pouvoir, dans l’ensemble des faits, est lié au revenu. L’un et l’autre se subdivisent de la même manière. Le revenu est foncier ou mobilier, rente de la terre ou intérêt du capital ; le pouvoir se partage pareillement entre les conservateurs et les libéraux, entre le sénat et la chambre des députés[1]. Le parti tory en tout pays n’est-il pas composé surtout de propriétaires terriens, et le parti whig, de capitalistes ? La lutte de ces deux grandes fractions de la classe gouvernante, qui, sous des noms divers (les Guelfes et les Gibelins, les patriciens et les plébéiens, la noblesse et le Tiers-état, etc.), remplissent l’histoire de leur long procès pour le partage inégal de la souveraineté, exprime simplement la rivalité d’intérêts qui divise les deux grandes catégories de la richesse. C’est le duel incessant et fécond de la classe gouvernante contre elle-même, par bonheur pour la classe pauvre et sujette qui en profite pour grandir. Nous trouvons cette distinction au fond de tout. Elle

  1. Tocqueville (Démocratie en Amérique) me parait expliquer beaucoup mieux cette nécessité de deux chambres, l’une haute, l’autre basse, par le besoin d’avoir deux degrés de législation comme on a deux degrés de juridiction. Un sénat n’est qu’une cour d’appel législative. La dualité du sénat et de l’assemblée des députés a si peu sa raison d’être dans celle des propriétaires fonciers et des capitalistes qu’on trouve, dès l’origine, deux chambres instituées dans chacun des États américains devenus les États-Unis, c’est-à-dire dès l’époque où il n’y avait pas encore de capital formé. Ici, il est vrai, l’imitation de la mère-patrie anglaise est manifeste ; mais l’imitation est un tout autre principe d’explication sociale que le point de vue économique.