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société de psychologie physiologique

retrouvés, ils donnent une série de petits qua qua, brefs, très rapides, se succédant à courts intervalles les uns des autres, et bien moins stridents que les deux sons précédents ;

4o Le cri de joie : c’est le cri bien connu du canard qui est dans la basse-cour ou sur l’étang ; c’est le quoin quoin quoin répété une douzaine de fois, strident, éclatant ;

5o Le cri d’un canard à qui on donne de la nourriture : il émet une série de petits sons brefs, très brefs, très pressés, qui ressemblent beaucoup au cri de reconnaissance, mais qui sont cependant moins sonores, plus longs et plus pressés que ce dernier ;

6o Le cri ou plutôt le souffle bruyant du canard pressé par un chien : alors il pousse un son bizarre, une sorte de phu phu, le soufflement ressemble vaguement au cri du chat qui se défend contre un chien.

On peut admettre que ces six intonations différentes représentent assez bien les divers états psychologiques de la conscience d’un canard. Si l’on ajoute à ces données celles qui résultent de l’examen prolongé et minutieux de toutes les allures diverses, on aura, je m’imagine, tout ce qui peut nous aider à juger quelle est la puissance intellectuelle de tel ou tel canard.

Il se trouve alors que les canards à cerveau lésé se comportent à peu près exactement comme les canards normaux. Il en est qui ne voient pas à droite ou à gauche, par suite de l’étendue de la lésion, quand elle a porté sur tel ou tel lobe optique, mais cette privation de la vue n’exerce pas d’influence bien manifeste sur leurs allures, ou tout au moins on peut facilement distinguer les troubles dus à l’absence de vision de tel ou tel côté.

Un observateur, même très perspicace, ne saurait d’abord discerner un canard au cerveau détruit partiellement d’un canard au cerveau normal. Les deux animaux ont absolument les mêmes allures : c’est la même manière de marcher, de crier, de manger ; c’est le même degré de timidité ou de sauvagerie (quoique dans les premiers jours qui suivent l’opération les canards opérés soient un peu plus farouches que les autres) — mêmes gestes pour lisser leurs plumes, se mettre à l’eau, se réunir à leurs camarades, s’enfuir bruyamment quand on arrive, se défendre contre le chien, etc. Bref, nulle différence appréciable.

À un examen plus attentif il y a cependant une toute minime différence, qui m’a paru très constante. Quelque faible qu’elle soit, elle me semble devoir être mentionnée, d’autant plus qu’elle a un certain intérêt psychologique.

Quand on poursuit un canard dans une pièce close, et qu’on lui coupe la retraite pour le prendre en le pressant à droite ou à gauche, il arrive un moment où il est acculé à un des angles de la pièce ; alors, ainsi cerné, il cherche à fuir en passant soit à gauche, soit à droite, selon qu’il espère trouver çà ou là une issue.

C’est ainsi que se comporte un canard normal ; mais un canard