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ANALYSES.w. proudfoot begg. The development of taste.

revêtir tant de formes diverses ! Tel sera de bonne heure très sensible à la musique, qui ne comprendra jamais rien à la sculpture ou aux arts du dessin. Je crois, pour ma part, qu’un enfant élevé dans les villes sera plus accessible qu’un autre aux charmes de la campagne. Les grands horizons lumineux peuvent dès l’âge de six ou sept ans le plonger en de véritables extases. La psychologie enfantine est toute à faire sur ce point, et avant de la commencer, il faudra s’être entendu sur ce qui constitue la beauté, et sur les caractères qui distinguent le bon du mauvais goût.

Ces deux questions, qui embrassent à peu près toute l’esthétique théorique, sont discutées assez au long par M. Begg. Il discute d’abord la seconde et établit, contre les associationistes, l’existence d’un critérium absolu et universel du goût. Il pense que les variations du goût sont plus apparentes que réelles et que, toutes choses égales d’ailleurs, les mêmes objets sont en général jugés beaux par tous les hommes. Il aborde ensuite la thèse de la relativité de la connaissance, et sans la repousser absolument, maintient que les objets extérieurs ont une existence objective, qu’ils existent tels qu’ils sont perçus. Il ne m’a pas paru que sur ce grand débat la doctrine de l’auteur fût suffisamment approfondie. Il se tient à égale distance d’un pur phénoménisme et de l’affirmation de noumènes inconnaissables. Il semble adopter la formule tout ce qui est réel est rationnel, et déclare que la possibilité de la pensée est la mesure de la possibilité des choses. L’agnosticisme, pour lui, est contradictoire.

Quant à la seconde question : qu’est-ce que le beau ? M. Begg estime qu’elle est mal posée, partant insoluble. Le beau abstrait n’est rien et ne saurait être objet de science. Au lieu de demander : qu’est-ce que la beauté ? il faut demander : qu’est-ce que la beauté de tel ou tel objet ? Toutes les définitions qu’on a données du beau sont donc moins inexactes qu’insuffisantes et incomplètes. — Je ne nie pas qu’une bonne méthode ne doive commencer par les espèces pour remonter par degrés jusqu’au genre le plus élevé, et j’admets parfaitement que la question : en quoi consiste la beauté de tel ou tel objet ? précède logiquement cette autre qu’est-ce que le beau ? C’est ainsi qu’a procédé Platon ; c’est la marche qu’a suivie, dans son remarquable livre, M. Lévêque, qu’on s’étonne de ne pas voir une seule fois cité par notre auteur. Mais pourquoi déclarer antiscientifique le problème de la nature du beau en général ? S’il y a des choses belles, si dans chaque genre la beauté est déterminée par un caractère propre et essentiel, est-il donc impossible que quelque chose soit commun à toutes les choses belles qui en constitue précisément la beauté ? La définition à laquelle aboutira cette dialectique ascendante pourra n’être pas fort instructive, elle ne sera pourtant pas vide, et l’esprit n’est satisfait que quand il est parvenu au sommet des généralisations possibles. Chacun des arts particuliers, chacun des domaines de la nature pourra avoir son esthétique ; mais le philosophe, le penseur, voudra toujours, et légitimement, faire sortir de