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W. Proudfoot Begg.The development of taste, and other studies in esthetics, Glascow, Macleose, 1887.

Ce livre ne renferme pas, à proprement parler, une nouvelle théorie sur la nature du beau ; il n’aborde que d’une façon indirecte les principaux problèmes de l’esthétique, et il soulève plus de questions qu’il n’en résout. Tel qu’il est, néanmoins, il ne manque ni d’intérêt ni d’importance. Nous nous contenterons de marquer rapidement les points essentiels.

L’auteur annonce d’abord l’intention de se borner à peu près exclusivement à l’étude du sentiment du beau qui a pour objet la nature extérieure, et il se demande « à quel échelon de la création commence à se manifester le goût pour la beauté ». Il discute l’hypothèse de Darwin relative à une sélection sexuelle chez les animaux, fondée sur l’attrait exercé par la beauté des mâles sur les femelles. Il ne croit pas à l’existence d’un goût du beau chez les êtres inférieurs à l’homme et oppose à Darwin l’autorité de Russel Wallace. L’éclat plus vif des couleurs chez les mâles de certaines espèces d’oiseaux lui paraît s’expliquer suffisamment par l’activité plus grande de l’énergie vitale au moment des amours. Nous pensons qu’il a raison. Dans une remarquable étude sur la sélection sexuelle d’après Darwin, M. Charles Lévêque avait déjà fait justice des conjectures de l’illustre naturaliste. En tout cas, si les animaux ont quelque sentiment confus de la beauté, il est permis de croire qu’il est tout à fait embryonnaire. On abuse de cette prétendue psychologie animale, si incertaine par ses méthodes et ses résultats ; on en tire des conclusions hors de proportion avec les faits positifs ; ce n’est vraiment pas là de la science.

Au contraire, l’homme primitif de l’époque quaternaire manifeste déjà un véritable goût de la beauté. On connaît les sculptures qui, dès ces temps reculés, attestent une certaine habileté de dessin dans la reproduction de quelques formes animales. N’allons pourtant pas trop loin. Ces vestiges d’art ne sont pas encore de l’art. Celui-ci commence quand l’homme contemple avec une émotion désintéressée et reproduit, sans autre but que de se donner un plaisir également désintéressé, les formes, les couleurs, les mouvements de la nature extérieure. Rien n’autorise à supposer que tel fut le cas pour nos ancêtres des cavernes. Il est probable que les mammouths et les cerfs, gravés sur les manches de corne ou d’ivoire, représentaient des totems de tribus. En général, le sauvage n’a pas l’esprit assez libre pour être artiste et sentir le beau. Sa vie et sa pensée sont assiégées de terreurs ; des esprits redoutables et malfaisants remplissent autour de lui les bois, les eaux, l’atmosphère. Il est insensible aux charmes ou aux grandeurs de la nature ; il ne voit en elle que les aliments qu’il poursuit avec peine, ou les embûches qu’elle lui tend. Peut-être, à de rares intervalles, quand la chasse ou la pêche ont été abondantes, quand le printemps sourit, et que le ciel est clément, sent-il déborder en lui cette allégresse de vivre que manifestent par leurs bonds et leurs jeux les animaux eux-mêmes :