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ANALYSES.f.-e. abbott. Scientific Theism.

naissable, en tant qu’il est à la fois l’immanent et le transcendant. C’est vraiment le nier que de le confondre avec l’inconnaissable ou l’inintelligible, c’est-à-dire le non-existant. Le théisme scientifique n’insulte pas l’esprit humain comme on le fait en l’invitant à adorer ce qui ne peut être compris, une quantité irréelle, une racine carrée de moins un, une réalité inconnaissable, qui est au fond synonyme de réalité impossible ou d’irréalité absolue ; c’est là la quintessence de la superstition. Il donne une idée de Dieu qui ne satisfait pas moins les besoins du cœur, que les exigences de l’esprit humain. »

Voilà un langage élevé et qui fait penser. Dirai-je que je ne suis pas entièrement convaincu ? La personnalité infinie de l’univers me fait un peu l’effet d’une conception contradictoire. Une personne ne peut être qu’un moi et un moi n’existe qu’à la condition d’un non-moi. Une personne est nécessairement limitée, en ce sens que pour avoir conscience il faut qu’elle se distingue de ce qui n’est pas elle. Je sais qu’à ce compte un Dieu personnel ne serait pas tout l’être, et il est fâcheux sans doute qu’il y ait de l’être en dehors de Dieu, que cet être non divin soit d’ailleurs créé par lui, ou lui soit coéternel, comme dans le système de Platon ou celui de St.-Mill. Mais il me paraît plus fâcheux encore que Dieu ne soit pas une personne, analogue à la nôtre, bien que plus parfaite — au moins si l’on se place au point de vue des besoins du cœur. Les cœurs que je connais sont tout à fait insensibles au Dieu nature, au système cosmique. C’est là un Dieu admirable pour l’intelligence, ce n’est pas un objet d’amour. Aimer l’univers, les lois de l’univers, l’ordre du monde, sont des expressions poétiques ; au fond, on n’aime réellement que l’être où on sent comme une tendresse qui réponde, un cœur qui brûle du même feu. L’univers n’a pour l’homme ni cœur ni tendresse ; l’homme, du moins, ne s’en est pas encore aperçu. Je veux bien que Dieu soit à la fois immanent et transcendant ; mais c’est vers un Dieu transcendant que montent la prière et l’amour, ce n’est pas à la loi de la gravitation ou à des systèmes de soleils ou d’atomes qu’ils s’adressent. Et si le Dieu transcendant est cette partie de l’univers qui nous est inconnue, je juge par analogie que l’univers inconnu encore ne sera ni plus pitoyable ni plus secourable que l’univers connu déjà. C’est précisément contre l’univers et la fatalité souvent cruelle de ses lois que l’homme implore un Dieu ; qu’il se trompe ou non en croyant que ce Dieu existe, je ne l’examine pas ici ; mais je soutiens que son cœur aura bien changé le jour où le Dieu-nature du théisme scientifique lui suffira.

Je ne puis d’ailleurs entrer dans la discussion du livre de M. Abbott ; il y faudrait trop de temps et de place. Qu’il me suffise de l’avoir signalé, comme une œuvre véritablement remarquable, à ceux qui voient encore dans la méditation de ces hauts problèmes la principale raison d’être et la dignité éminente de la pensée.

L. Carrau.