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époque et qui est, selon lui, l’irréconciliable ennemi de la science. L’idéalisme a été constitué par Kant dont la grande réforme peut se résumer en cette phrase de la préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure : « On a supposé jusqu’ici que notre connaissance doit se régler sur les objets, mais toute tentative pour affirmer avec certitude quelque chose relativement à ces á priori, au moyen de concepts, et pour étendre ainsi le domaine de notre savoir, a été rendue vaine par cette supposition. Essayons si nous ne serons pas plus heureux en métaphysique, en supposant que les objets doivent se régler sur notre connaissance. Mais Kant lui-même n’a fait que continuer avec profondeur la tradition nominaliste du moyen âge l’ancêtre véritable de l’idéalisme, du subjectivisme, du phénoménisme (tout cela revient au même) est Roscelin. Le nominalisme est le père de toute la philosophie moderne.

Le nominalisme est essentiellement la doctrine qui refuse toute réalité objective aux genres et aux espèces ; on peut distinguer le nominalisme extrême, pour qui les universaux ne sont que des noms ou des mots (nomina, voces, flatus vocis), et le nominalisme modéré qui en fait de purs concepts de l’esprit (Abailard, Guillaume d’Occam). Dans les deux cas, on nie que les rapports qui unissent entre eux les individus d’un même genre, et les différences qui les séparent de ceux d’un autre genre aient une valeur absolue en tant qu’exprimant la nature des choses indépendamment de l’esprit.

Le principe fondamental de la philosophie cartésienne est aussi nominaliste. La seule connaissance immédiatement certaine est celle que la pensée a de son existence ; l’univers n’est pas directement connu ; on sait par quel détour Descartes parvient à le ressaisir. Logiquement il reste enfermé dans sa pensée et c’est au prix d’une inconséquence qu’il en sort.

Logiquement aussi, le système de Kant conduit à la négation du noumène, et l’égoïsme absolu, ou le solipsisme de Fichte est le naturel développement, le dernier mot du kantisme[1].

Berkeley et Hume, St.-Mill et Spencer, tous ceux, — et ils sont légion qui du principe mal compris de la relativité de la connaissance, concluent que nous ne connaissons ni ne pouvons connaître que nos représentations internes, les modifications ou états de notre conscience — tous ceux-là, qu’ils le sachent ou non, sont les héritiers du nominalisme, continuent son œuvre, et aboutissent au solipsisme.

Il est cependant une autre tradition dans l’histoire de la pensée humaine, et il serait peut-être temps de la reprendre. C’est celle de la philosophie grecque. Les physiciens et les métaphysiciens qui ont précédé Socrate admettent tous l’existence d’une réalité en soi : — eau, air, feu, atomes, homœomeries, infini, nombres, être éternel, —

  1. Il va sans dire que nous aurions quelques réserves à faire sur cette couséquence imposée au système de Kant.