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ANALYSES.e.-r. clay. L’alternative.

corporel, et en partie une âme ; plus simplement, que l’esprit est un composé d’âme et de corps. Le moi ordinaire des psychologues n’est que le Sosie conscient d’un moi inconscient, qui joue trop souvent à notre égard le rôle du « malin génie » de Descartes.

Que sera, dans de semblables conditions, la sagesse réalisable par l’homme ? « À moins d’accepter à l’égard de la nature le rôle d’un jouet, à moins de consentir à être aux mains du principe infernal qui est dans la nature un instrument en même temps qu’une victime, il n’y a qu’un moyen d’y échapper : c’est d’adopter la conduite dont je parle, et qui consiste à suivre la voie de l’abnégation. » L’esprit religieux, source de la seule moralité, est là, uniquement. Et, pour le ressentir, il n’est point nécessaire de croire aux dogmes révélés hi aux châtiments post mortem, il suffit de permettre à la faculté esthético-morale qui est en nous de se développer et de croître à la lumière, de s’élever soi-même au sentiment et à l’intelligence d’une vertu mère de toutes les autres : la vénération. « Le principe de vénération peut prendre sur le sujet un ascendant tel, que si par un acte d’injustice il violait le caractère sacré de son prochain, il en aurait un remords que ne pourrait compenser nul avantage obtenu à ce prix. » La vénération, bien analysée, est donc plus qu’un état passager de l’âme, elle est « une faculté d’intuition morale ». « En effet, la vénération et la bienveillance, une fois adultes, ne sauraient manquer de découvrir en chaque homme un droit à la plus large liberté, aux plus complètes immunités, qui se puissent concilier avec le bien-être de l’espèce. » La vénération est enfin la source de la sainteté.

Cette fin de l’Alternative est, sans contredit, d’une fort belle inspiration, et digne de l’attention du moraliste. Il y aurait trop d’admirables maximes à citer à rapprocher d’un livre de Pensées bien connu : le lecteur qui en aura la patience saura bien les découvrir. Il n’est guère utile, après cela, de dire que l’ouvrage est au début (livre I) une « psychologie reconstructive », où l’on s’attaque en passant et par besoin de conciliation à la théorie de l’a priori dans la connaissance. Kant même est çà et là un peu malmené. Mais ce sont là de grosses questions que l’auteur eût peut-être plus sagement fait d’éliminer. Son livre — cela se voit du premier coup d’œil — manque de simplicité et de choix.

M. E.-R. Clay a eu l’avantage d’être distingué chez nous par l’un des esprits excellents de ce temps, dont M. Burdeau nous livre le nom[1] ; il a trouvé en son vaillant traducteur un interprète habile, scrupuleux, qui a fouillé avec goût les trésors de notre vieille langue pour mieux rendre le pittoresque de son style. Après cette double faveur du sort, le succès n’est peut-être pas chose impossible.

A. Debon.
  1. M. Ravaisson.