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peut-être un peu enfiévrée, le pessimisme des Blasphèmes de M. Jean Richepin. « Nous voyons là, comme dans un brusque rayon, ce qu’il y a de folie et de hideur à être privé de la sagesse » (p. 575, cf. p. 554). La curiosité pure, qui est le tact philosophique même, exclut ces accents trop mélangés de passion pour laisser à l’esprit sa finesse de discernement, s’interdit cette sorte d’enthousiasme prosélytique à la Polyeucte où l’analyste voit plus encore l’effet d’habitudes lointaines, d’une éducation « évangélique » et piétiste, que l’amour contemplatif de l’idée. Comment M. E.-R. Clay, si habile aux distinctions d’ordre psychologique, ne s’en est-il pas rendu compte ? Et ce besoin de tout ramener à une émotion religieuse, sans laquelle, selon M. Clay, la moralité demeure un rêve, éclate à travers des pages entières, se donne carrière dans cinq chapitres considérables du livre IV, avec une abondance de cœur qui déborde. C’est une a élévation » à la Sagesse uranienne, un cri emporté, un acte de foi et d’adoration. Le lecteur français du moins veut en ces entraînements sublimes quelque repos çà et là ménagé : il craint d’être enlevé trop haut ou trop vite, et sent malgré lui des coups de vertige.

L’Alternative contient d’excellentes parties. Le livre III, en particulier, nous expose d’une façon nouvelle et intéressante cette mystérieuse correspondance de l’âme et du corps, que Spinoza résumait en deux mots : « L’âme humaine, c’est l’idée même ou la connaissance du corps humain » (Éthique, II. pr. 19). Mais cette connaissance est souvent confuse et mutilée, « comme des conséquences séparées de leurs prémisses », et c’est ce dessous de la vie consciente que M. Clay nous invite à regarder avec lui, pour comprendre le secret de nos volitions. « Il y a, écrit-il, dans l’esprit humain une partie inconsciente, une partie dont lui-même n’a pas l’intuition ; il y a des événements inconscients, qui ont lieu dans cette partie, et qui sont la cause prochaine de certaines consciences ; enfin la plus grande portion des actions intentionnelles de l’homme sont les effets de causes inconscientes » (p. 141). Et, après une suite d’analyses ou d’exemples : « … Si la conscience est dans une liaison aussi intime avec ses causes prochaines inconscientes, c’est donc que le sujet concret des modifications en lesquelles consistent ou sur lesquelles reposent les connaissances inconscientes, est ou un esprit ou une partie d’esprit ; et si l’on venait à prouver que ce concret est un cerveau, alors il faudrait bien reconnaître que le cerveau est une portion de l’esprit… » (p. 451). À ce point essentiel de sa philosophie l’auteur consacre un chapitre entier, où, s’aidant des observations de Maudsley (Pathologie de l’esprit) et de Winslow (Les maladies obscures du cerveau), il s’efforce de « donner une haute probabilité à cette thèse, que la partie corporelle de l’esprit est formée par l’encéphale, la moelle épinière, les nerfs tant afférents qu’efférents, et les parties périphériques des organes des sens » (ch.  III, p. 467). D’où il suit une nouvelle et plus compréhensive définition de ce qu’on nomme l’esprit, à savoir que l’esprit est, au moins en partie, un organisme