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ANALYSES.e.-r. clay. L’alternative.

vie pratique de l’humanité. Écartez cette erreur, et vous découvrez un fait d’une portée vraiment redoutable. Je prouve par voie de déduction que l’esprit enferme une partie inconsciente, à savoir le théâtre des faits mentaux inconscients ; par induction, j’établis que cette partie comprend le cerveau ou y est comprise, et qu’un fait moral inconscient, un fait physico-mental, est la condition sine qua non de tout état de conscience. D’où il suit que dans la presque totalité de sa vie pratique l’homme est, a été, et pour un temps à venir indéfini sera sans doute mené par une force inconsciente ; que nous avons été des marionnettes, et non des agents personnels, et des dupes en même temps que des marionnettes, et de plus, si l’on considère combien le malheur l’emporte sur le bien dans la vie humaine, des victimes ». Tout philosophe connaît cet « esclavage » magistralement décrit dans la IIIe et la IVe partie de l’Éthique : l’idée, grandie en images poétiques, ne s’éploie-t-elle pas dans les stances austères d’un Alfred de Vigny[1] ?

« Or, continue M. E.-R. Clay, cet état de marionnette, de dupe et de victime, je montre que nous pouvons nous en relever, mais par une seule voie : par l’abnégation d’une conduite conforme à la sagesse. Qu’un homme se créant un idéal de caractère contraire aux vœux de ses instincts se résolve à vivre selon cet idéal ; qu’au prix d’un oubli de soi-même il accomplisse cette résolution ; dès lors sa vie pratique aura pour principe moteur et pour guide ce qu’il y a de conscient dans son esprit ; et ce sera là vraiment la vie d’une personne, d’un être doué de volonté, d’un agent libre. Il sera dans ce domaine maître de lui-même, et, en une certaine mesure, de la nature. Si un tel régime a pour effet, comme le suppose la doctrine chrétienne, de changer, d’apaiser les instincts, alors l’homme sera sur la voie d’une réconciliation entre ces deux puissances ennemies, la Volonté et l’Instinct ; il tiendra à substituer au vieil homme un homme nouveau, et à créer dans ce dernier un esprit qui sera en partie le produit de la Volonté. C’est cette alternative qui nous a fourni le titre de ce livre. » Ces idées sont fortes, élevées, sinon tout à fait concluantes. Pourquoi l’auteur les dénature-t-il et les déplace-t-il de leur milieu, en faisant intervenir, ici et en cent endroits, une langue néo-miltonienne, des images, des métaphores, dont la philosophie, par une réserve tout intellectuelle, se refuse l’usage ? Je cite seulement quelques lignes : « Mon but, dit-il en terminant, coincide avec celui de l’Évangile, sauf le surnaturel et le mysticisme : il s’agit de soulever une insurrection contre l’infernal qui est présent dans la nature… » Ailleurs (p. 551) il est parlé, comme de symboles bien entendu, de « la révolte de Lucifer », de « sa chute en enfer », et de « sa haine ultérieure contre l’homme ». Et M. Clay, qui ne craint pas de suivre l’actualité, s’inquiète des ennuis qu’a dû essuyer l’Armée du Salut, qui a eu le malheur de paraître « grotesque ». « On est dénué du sens de la vénération, » s’écrie-t-il. Il signale, avec une amertume

  1. Les Destinées.