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religion-mère qui serait leur souche commune, et cela par voie d’hypothèse. Ce qu’on entend trop souvent par « histoire comparée des religions », c’est la reconstitution de prétendues filiations naturelles, en telle sorte que les religions spéciales ne devraient plus apparaître que comme les modifications nécessaires et fatales d’un premier état dit primitif. Or cette religion, type sur laquelle on disserte si éloquemment, soit la religion-mère des Aryens, soit celle des Sémites, on l’a fabriquée de toutes pièces pour les besoins de la cause. Il est indispensable que l’on cesse de subordonner l’étude des religions historiquement connues à des créations suspectes et décevantes. — Quatrième abus : Les « clefs » de l’histoire religieuse. — On se montre souvent moins préoccupé d’exposer avec exactitude les faits et les idées propres aux différents peuples que d’en donner l’explication. On ramène les diverses religions à un même point de départ, qu’a suggéré l’observation d’un certain nombre de détails et, armé de cette clef, on prétend en démontrer le mécanisme jusque dans leurs rouages les plus intimes. C’est ainsi que l’on voit tour à tour tenir le haut du pavé, soit l’explication évhémériste qui voit dans les dieux ou demi-dieux des héros réels transfigurés, soit l’explication astronomique qui ramène le dogme et les pratiques du culte à la vénération des phénomènes sidéraux, soit la théorie du culte des ancêtres, soit l’opposition du principe mâle ou créateur et du principe femelle ou passif, soit la théorie de la personnification des forces de la nature, laquelle jouit aujourd’hui de la plus grande faveur.

Notre conclusion est la suivante : « Quelle sera la tâche du présent ? — Après avoir interdit à notre science de s’engager dans les voies que j’ai désignées, je ne lui demande qu’une chose, c’est d’appliquer rigoureusement aux faits de son domaine les règles sévères qui ont renouvelé de notre temps l’étude de la linguistique et de certaines parties de l’histoire. Cataloguer les documents, les textes et les faits relatifs aux différentes religions, soumettre chacun d’eux tour à tour à ce que je voudrais appeler un « épluchage » rigoureux, les dater et les classer le mieux qu’il est possible, en un mot amasser des matériaux de bonne qualité, scrupuleusement vérifiés, qui pourront servir ultérieurement à des constructions plus ou moins considérables, voilà le but que je prétends assigner à nos travaux, voilà la méthode de travail que je prétends m’imposer à moi-même dans le champ de mes recherches spéciales et que je prends la liberté de recommander à ceux qui cultivent d’autres domaines de l’histoire religieuse. Moins brillant que d’autres, ce procédé me paraît le seul qui mérite le beau nom d’étude scientifique des religions ».

Nos protestations ont eu un retentissement aussi grand que nous pouvions le souhaiter. Soit du côté de la libre-pensée, soit du côté des partisans de la tradition, on a reconnu qu’il y avait un sérieux avantage à neutraliser » en quelque sorte le terrain de l’histoire religieuse en laissant en dehors les questions de philosophie et de théologie. Il a été