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sympathie une émotion poignante. Le vice, la débauche sont évidemment très susceptibles de nous donner des impressions pénibles de dégoût ou d’horreur en contrariant certaines tendances qui sont en nous. Toutefois en admettant que la règle soit que le mal nous répugne et que l’idée du mal nous soit désagréable, cette règle supporte de nombreuses exceptions que nous pouvons comprendre.

Actuellement nous sommes des artistes, et nous avons l’esprit large, — non pas tous d’ailleurs. Ce sont les conditions de notre société qui le veulent. Nous voyons passer des régimes divers de gouvernement, nous avons appris à connaître un grand nombre de systèmes politiques, nous avons été initiés à tous les systèmes religieux et philosophiques possibles, nous avons lu les œuvres de littérateurs classiques, romantiques, naturalistes, décadents et autres. De nos jours, l’histoire, la critique ont moins souci de nous présenter des enseignements, que des renseignements ; nous avons appris à considérer avec sympathie des croyances qui ne sont pas les nôtres, tout au moins à retenir notre jugement pour les bien comprendre. Il y a eu un peu d’engouement, de mode et une étroitesse particulière dans ce grand mouvement. On s’est imaginé que tout comprendre était à peu près synonyme de tout approuver : critiquer, discuter, réfuter, cela paraissait une vieille méthode. Des esprits distingués n’ont pas su voir que si juger sans comprendre était inepte et dangereux, comprendre sans juger n’était pas le dernier mot de l’esprit humain, et que d’ailleurs la compréhension complète implique le jugement. Retenir son jugement jusqu’à ce que l’on ait compris et n’apporter aucun préjugé c’est bien, mais s’en tenir là, c’est manquer de force d’esprit. Quoi qu’il en soit, cette première partie d’un examen bien conduit, l’acte de l’esprit qui oubliant momentanément ses préjugés ou ses connaissances entre dans des idées qui ne sont pas les siennes, nous avons été avec raison habitués à l’accomplir. Nous avons appris à faire taire nos répulsions intellectuelles ou morales pour mieux être sûr de l’impartialité de notre examen. D’un autre côté, en même temps que l’histoire et la critique, l’art contemporain nous a dressés d’une manière analogue. On nous a dit qu’il fallait, pour apprécier une œuvre d’art, faire abstraction de nos préférences personnelles, de nos goûts, de nos habitudes, que dans l’art il ne fallait considérer que l’art lui-même et non les conventions sociales, morales, religieuses ou philosophiques, qui règlent notre vie active, et certes, à plusieurs égards, cette théorie est parfaitement juste. Ainsi de tous les côtés à la fois nous avons appris à contempler, à devenir en quelque sorte impersonnels, à supprimer momentanément, pour voir, pour comprendre et pour jouir esthétiquement, une grande partie de notre nature. Et c’est cette