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pas toujours désagréable, bon nombre de personnes la recherchent. Les exécutions de criminels sont un spectacle fréquenté, et si la question se donnait encore, on trouverait bien des amateurs pour penser que « cela fait toujours passer une heure ou deux ». L’Anglais qui suivait un dompteur célèbre, espérant le moment de le voir manger par ses lions, était-il un monomane ? Mais si aucun danger n’était à entrer dans la cage, les spectateurs seraient-ils si nombreux et si intéressés ? Quelques-uns sans doute, et un bon nombre, ont horreur du sang et souffriraient de le voir couler, mais ils aiment à penser qu’il pourrait couler et leur intérêt croît avec le danger, et cela est déjà une dépravation, car c’est bien le danger pour le danger qu’on recherche et non pour ses résultats. Seulement si un accident vient à se produire, ces sentiments pervers ne sont pas assez forts pour l’emporter sur la sympathie, sur l’impressionnabilité qui s’éveille, et nous sommes portés à croire que les derniers sentiments seuls existent réellement en nous. Et si nous allons plus loin encore, qu’est-ce autre chose, l’instinct des lecteurs de faits-divers, d’accidents et de crimes, que la manifestation affaiblie de sentiments dépravés. Et l’intérêt qu’éprouvent les lecteurs de roman, ceux qui le lisent pour « l’histoire » ? Sans doute ils aiment à voir la vertu récompensée, mais ils n’aiment pas que cela, ils aiment à la voir menacée. Ils sont assez bons pour souffrir si elle succombe, ils sont assez pervers pour jouir de ses traverses. Et que dire des amateurs de combats de coqs et des auditeurs assidus de cour d’assises ? Mais on n’en finirait pas à les énumérer. Évidemment je ne prétends pas que dans tous les cas que j’énumère l’homme soit foncièrement mauvais, je veux constater seulement qu’il y a en lui quelque chose de mauvais, un certain élément de perversion qui peut varier de la perversité complète à l’innocence presque absolue.

Je n’ai parlé que de la cruauté, mais si je voulais parler de la convoitise ou de la luxure par exemple, à quels développements ne se prêterait pas ce dernier sujet ! Je renvoie aux casuistes, aux médecins et aux psychologues qui ont traité la question. La perversion ici est de tout temps et de tout pays ; — ignorer ces déviations d’un instinct serait ridicule, — et trouverait-on beaucoup d’hommes « dans le mouvement » pour s’avouer très fiers d’y avoir complètement échappé ? Encore ici d’ailleurs combien ont-ils à connaître des actes qu’ils n’oseraient accomplir, un plaisir qui n’est pas strictement scientifique ?

Je ne crois pas d’ailleurs devoir démontrer bien longuement que l’homme n’est pas un ange ni un dieu et qu’il renferme bien des éléments mauvais. Mais ces éléments, qui sont nécessaires à l’appa-