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douleur. Celle-ci est le maître le plus puissant pour l’être qui apprend à distinguer le subjectif de l’objectif. » Que l’enfant, à cet âge, fasse des expériences à demi volontaires, à propos de sa tête, comme il en a fait et en fait encore à propos de ses mains et ses pieds, qu’il paraisse quelquefois étonné de ces découvertes-là, rien de plus admissible. Mais rien ne donne à penser qu’il s’imagine d’abord faire rendre des sons à sa tête comme à un corps étranger. Il la sent bien à lui, quand il la touche ; ce qui peut quelquefois le surprendre, le réjouir ou l’incommoder, c’est le bruit particulier, c’est la sensation douloureuse qu’il ne s’attendait pas à éprouver au contact de cet objet bien connu comme faisant partie de lui-même. Pareillement, avec sa tendance encore mal contenue à tout mordre, il mord son bras, il mord ses doigts, qui sont à portée de ses dents : il cesse bientôt de les mordre parce qu’il en souffre, comme il cesse d’approcher du feu qui l’a brûlé : mais la douleur ne lui apprend pas que ses doigts sont siens, pas plus qu’elle ne l’avertit que la chandelle ou la braise ne tiennent pas à son corps.

Quelques justes réserves que j’aie pu faire en le louant, je n’en considère pas moins le livre de l’Âme de l’enfant comme une œuvre des plus remarquables. Les inévitables lacunes, les erreurs y sont amplement compensées par les magistrales qualités. Il contribuera sans doute à en produire de meilleurs encore. Mais il est, et il restera l’un des meilleurs recueils d’observations sur le premier âge.

Bernard Perez.