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difficulté qu’il y a pour l’enfant à associer l’idée du mot « rouge » ou « vert » par lui entendu, à celle de la couleur correspondante. Je me demande s’il n’y aurait pas lieu d’instituer des expériences analogues, avec des objets bien connus de l’enfant, dès le septième ou le huitième mois. J’ai pu déjà noter, chez un enfant de sept mois, la distinction, au point de vue des qualités sapides, et d’après la forme et la couleur, d’un morceau de pain, d’un gâteau, d’un fruit[1]. Il ne s’agit toujours là, il est vrai, que de jaune et peut-être de rouge.

Le nouveau-né contracte d’abord sans but précis les mouvements des yeux. La plupart sont innés et instinctifs ; par exemple, les yeux grands ouverts dès la naissance manifestent les sensations agréables, et la fermeture des paupières exprime les sensations pénibles. Les mouvements coordonnés de la paupière supérieure vers le haut ou vers le bas, lors de l’élévation ou de l’abaissement du regard, sont acquis. On les remarque cependant dès la seconde semaine. Parmi les mouvements, presque tous incoordonnés, des yeux, il s’en produit quelques-uns de symétriques. Ils deviennent, avec le temps, plus fréquents et plus précis. Au trente et unième jour, chez le fils de Preyer, le strabisme était rare ; au quarante-sixième, très rare. À l’âge de trois mois, il n’y avait plus de mouvements incoordonnés des yeux. La consolidation du mécanisme des mouvements oculaires coïncide avec l’apparition des mouvements volontaires. Mais c’est encore par degrés lents, et avec des mouvements comme fortuits, que l’enfant arrive à la direction volontaire du regard. À ses débuts, il regarde dans le vide, il détourne son regard d’un objet placé dans son champ de vision vers un objet plus éclairé ; il suit du regard et de la tête, ou du regard seul, un objet lentement déplacé devant lui ; enfin il passe de l’acte de voir à celui de regarder ; il fixe et voit nettement les objets ; à la vision des objets dans le même plan succède la vision des objets inégalement distants. La direction du regard à la recherche d’un objet remonte aux premières semaines ; la fixation du regard peut se voir après le troisième mois. L’enfant distingue dès lors nettement la droite, la gauche, le haut, le bas. Mais la troisième dimension de l’espace est lente à entrer dans son esprit : la perception ou l’appréciation des distances est de beaucoup en retard sur l’accommodation parfaite de l’œil. L’enfant apprend la différence des distances, probablement par les mouvements de son corps vers les objets vus, et par l’inutilité de ses efforts pour atteindre les objets lointains. Preyer, en attribuant au toucher le rôle principal dans l’appréciation des distances, confirme, sur cette question si débattue,

  1. Les trois premières années de l’enfant, p. 35.