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DARLU.la liberté et le déterminisme

s’est opéré de la première à la deuxième édition, et qui en fait la principale différence[1]. Il entrait plus d’indétermination dans sa première conception de la liberté ; il n’en reste que bien peu dans sa conception actuelle. Il en reste encore cependant ; sans quoi l’auteur ne nous parlerait plus d’une conciliation, même « approximative », de concepts contraires. Mais il n’aurait pu renoncer absolument à cette conciliation sans être conduit à écrire un livre nouveau où il aurait dégagé nettement de tout ce qui la surcharge et la complique, la partie solide et durable de sa thèse sur la liberté, à savoir la théorie du déterminisme de la volonté. C’est ainsi que le penseur lui-même ne fait pas toujours ce qu’il a d’abord voulu faire, et que ses idées se développent autrement qu’il ne l’a prévu. Qu’importe, si elles agissent utilement sur la pensée publique et y marquent leur trace ? Or de quelle œuvre en ces dernières années pourrait-on le dire plus justement que du livre que nous venons d’examiner ?

Darlu.

  1. On en trouve la trace presque à chaque page. Un exemple suffira. La première édition se terminait par une sorte de mythe qui nous montrait Prométhée brisant ses chaînes dans un élan de charité. M. Fouillée reproduit ce mythe, mais il en modifie le sens. Il avait écrit : « La merveille que la pensée et le désir cherehaient en vain, un suprême élan de l’amour l’accomplit… Prométhée est libre. » M. Fouillée se corrige et met : « Un suprême élan de l’amour parait l’avoir accomplie… Prométhée, autant qu’il est possible à l’homme, est libre. » Le premier essor de la pensée est ainsi réprimé. On pense à une abeille qui, craignant d’être emportée par le vent, charge ses ailes de quelques grains de poussière.